par Philippe Di Meo
En bas de page, cette édition s’assortit d’une version en prose de chaque poème, « adaptée » de celle qu’en a donnée l’érudit et critique espagnol Dámaso Alonso. Elle-même précédée d’une présentation circonstanciée dans laquelle le traducteur distingue notamment « fidélité » lexicale et « fidélité » poétique. Autrement dit, toute la difficulté de la traduction qui, au-delà de sa pure et simple exactitude sémantique, peut faire l’objet de ce type d’évaluation qui est aussi une appréciation.
La première permet au lecteur de mieux s’imprégner du climat culturel du temps et, peut-être, de prendre la mesure de la narration poétique de Góngora en regard du récit en prose de Dámaso Alonso et de confronter tous deux au rendu français. Jacques Ancet rime pour sa part les 63 pièces du recueil1.
Selon le modus operandi de son siècle, le poète inscrit sa marque stylistique dans la trame d’un thème connu2 dont le public lettré peut dès lors apprécier, de modulations en écarts et autres inventions, l’originalité du traitement.
Si l’inattendu syntaxique est une définition possible du genre poétique, le résultat est ici exalté dans une cérémonie verbale lente et caressante où l’ellipse a la part belle. Cette prouesse est fondée sur un métier solide – notion si souvent étrangère à notre siècle fasciné par certaine psychologisation de l’acte d’écriture – asseyant un non moins solide exercice où l’impersonnalité relative du fond révèle d’autant mieux la personnalisation d’un thème par le poète.
Soixante-trois huitains en décasyllabes offrent dans la régularité de leur métrique la souplesse sans violence d’une syntaxe tout à la fois étirée et enveloppante inscrivant son discours comme dans une sphère idéale ou sur le rebord extérieur d’une corne d’abondance. Un bouquet de vents et de couleurs profuses et savamment composées vaporise un éclat d’ardeur et de sensualité infinies dans la quiétude d’un temps égal et si lent qu’il en devient presqu’inexistant, et étrangement comme déjà advenu, véritable maître de cérémonie d’un récit exquis, délectable et distingué.
1. Un exemple de poésie courtisane dédiée au comte de Niebla.
2. La critique a pu en poursuivre la source dans les Il Polifemo, le stanze pastorali de Tommaso Stigliani (1600) et davantage encore par Luis Carillo Sottomayor (1584-1610).