par Mathilde Azzopardi
Avec Inventaire, un souffle, Julien Simon poursuit l’enquête mémorielle menée plusieurs années durant sur les traces d’une famille juive, les Perper, de leur départ d’Odessa en 1932, leur vie en Bretagne, jusqu’à l’application des lois de Vichy qui empêchèrent Ihil, le père, d’exercer la médecine, puis l’issue tragique : Drancy et, à Sobibor, la mort. Julien Simon récolte des fragments de son travail, dont certains ne trouvèrent place dans ses œuvres précédentes1. Il dresse l’inventaire de ces reliquats – quelques dates, faits, gestes, paroles, bribes de récits, souvenirs épars, ainsi qu’une liste d’objets imaginaire –, mêlant inextricablement ce qui relève de l’Histoire, du témoignage ou de la preuve matérielle à la fiction, pour qu’à la faveur de la « force spectrale des lettres »2, demeure quelque chose de l’humanité de ceux-là qui furent.
Les Perper sont chacun nommés et désignés par la troisième personne, « IL », « ELLE », « ILS, Sonia, Ihil, Rosine » – comme en écho à Celan : « sans Je et sans Tu, rien qu’Il »3. Mouvement d’adresse à l’autre, « tournant du souffle »4, le poème redonne la parole au sujet ; interrogeant ces existences, il allume « la lumière de [leur] alphabet disparu »5.
1. À partir du matériau qui a servi à l’écriture du présent volume, Julien Simon a monté une pièce de théâtre documentaire, La Vie comme la vie (avec Marie Dault, 2011), écrit une pièce radiophonique pour la RTBF, La Vie comme la vie (2013) et réalisé un film documentaire, Ils sont partis comme ça (avec Catherine Bernstein, 2014).
2. Nelly Sachs, Partage-toi, nuit, Verdier, 2005, p. 134.
3. Paul Celan, Entretien dans la montagne, Verdier, 2001, p. 15.
4. Paul Celan, Le Méridien, dans Le Méridien et autres proses, Le Seuil, 2002, p. 44.
5. Nelly Sachs, Exode et métamorphose, Verdier, 2002, p. 117.