Yòrgos Markòpoulos : Chasseur caché

 
par Michel Ménaché

Peintre de l’âme populaire, Yòrgos Markòpoulos, né en 1951, a connu dès l’enfance la dure condition paysanne. Il a étudié à Athènes, « ville épique et perdue », où il est devenu ingénieur. Auteur d’essais et d’anthologies, il a été couronné à deux reprises par le prestigieux Prix d’État. Dans Les brigands des enfers (1973), il évoque la solitude des poètes et des êtres en rupture : « Toute âme est une mer dans le désert. » Emblématique de cette exclusion tragique, le suicide de Maïakovski « braillant comme un âne esseulé » tandis que « le monde continuait à faire son “devoir” ».
Dans Les artificiers (1979), de la misère à la déréliction, il s’émeut de l’absurde acharnement de son père à construire sa maison, jamais achevée de son vivant. « J’ai soif comme un fleuve à sec », clame-t-il, à propos du souvenir d’une femme refusant de céder à son désir : « Voilà comment sont les hommes. L’un, montagne et l’autre couteau. » Recueillant les confidences d’une prostituée, il se voit comme un voleur de vie ! Et dans Histoire de l’étranger et de l’affligée (1987), il oppose la rue des femmes et le marché, « lieu où la solitude féroce des mâles se dissipe entre des gestes profondément érotiques » : « Deux rues séparées par la mer », pense-t-il en les regardant. Autre symbole d’un monde perdu, la vitrine du libraire où « dormaient des poètes et parmi eux, Lui, Andrèas Embirìkos, et l’oiseau mis à mort de son sexe au désert du monde. » Il prête voix à Natàssa Pandi, « l’affligée », pour mettre en scène et stigmatiser la brutalité faite aux femmes, sous forme d’une conférence publique. Détaillant plusieurs agressions et viols, elle met en doute la validité des sentiments amoureux : « car toute femme, après la nuit de noces, / se réveille toujours veuve de l’homme dont elle rêvait. » Le poète développe un pessimisme noir quant à sa « terrible patrie ». La seule vraie patrie qu’il reconnaît est sa mémoire peuplée des souvenirs les plus sombres. Il évoque le cercueil de sa mère balloté dans un train « comme une boîte de poupée sur un tas de malles ». Il s’est relevé d’une grave maladie. Mais il reste totalement présent au monde. S’il cultive la nostalgie de l’enfance et des métiers d’antan qu’exerçaient des hommes confiants dans l’estime d’eux-mêmes, c’est que, jeune poète, il se projetait dans l’avenir : « Jadis je bâtissais des rêves ».
Dans le dernier ensemble qui donne son titre à l’ouvrage, Chasseur caché (2010), l’auteur revient sur les scènes de cauchemar de son hospitalisation : « Ô cancer, homme sournois, cruel. » Des souvenirs d’enfance le hantent, celui du père qui le maltraitait saigne encore. La blessure reste à jamais ouverte : « car toute ma vie je n’ai fait / qu’être en deuil de toi, en deuil secret. » Le poète joue de métaphores pour aller au plus intime de l’être, de l’angoisse existentielle à l’obsession de la mort : « et toi, ô mort, ours, femelle d’ours » ! En écho, la disparition tragique de Sylvia Plath lui inspire un poème d’empathie profonde : « Voix de lionne mais plainte de femme / qui se déshabille dans l’autre pièce / après l’annulation d’une sortie très désirée. / Bruits de pas indistincts de la mort en visite. »
Yòrgos Markòpoulos se compare à un photographe ambulant. Témoin des choses vues dans la brume de la nostalgie. Archiviste de l’éphémère, en suspens, il remonte le temps entre rêve et réalité…




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Choix de poèmes
Traduit du grec par Michel Volkovitch
Le miel des anges
132 p., 12,00 €
couverture