par Matthieu Contou
« Comment a-t-on survécu à un amour mort ? » Au souvenir, désormais impartageable, de la « force qui nous précipitait dans l’étreinte », « lui vêtu et moi nue, enveloppée dans son manteau, avec pour finir son sexe enfoncé en moi », « au pied d’un arbre dans le petit bois de pins où je le retrouvais » ? À cette « indéchirable expérience » sur laquelle « allaient se construire toutes les aventures amoureuses qu’elle allait traverser comme dans les romans ce qu’elle allait en lire » ?
Liliane Giraudon le dit elle-même : « C’est la question qui se pose ».
Quoi faire de cet « étrange chagrin », de cette « véritable peine » ? Eh bien, banalement, elle ne s’en cache aucunement, l’écrire, et « [p]ar exemple rameuter. Faire surgir les anciennes images : tessitures des voix, grain de la peau, consistance des étoffes. Revoir. Comprendre. »
Comprendre « [c]e dedans qui pue et rend malade ». Comprendre qu’« [o]n doit pouvoir le ramener à la lumière Le balancer dans le lac Oublier tout ce qui un matin nous détourna du soleil Une flaque au fond d’un bol » : « C’est pourtant simple à comprendre » ! Et, puisque « [c]omme le poème, le rêve désactive les fonctions informatives », puisqu’« il décharge » et « […] soulage », tel l’analysant, s’en remettre à l’ « [a]ccumulation libre de matières associatives ».
En tâchant de ne rien oublier. Pas même « la blancheur du cabillaud ». Pas même le « petit morceau de beurre sur du riz ». Ni ce « peu de lait dans du thé nuage / d’un bonheur matinal quotidien / trop souvent invisible ». Ni non plus « lui ou moi à l’intérieur d’un Café / sur une terrasse / regardant le jardin / les liserons grimpants comme les clématites ». Pour ne rien dire de Sophocle, de Shakespeare, de Tchekhov ; sans compter Fassbinder et Chantal Akerman, dont les fantômes expliquent sans doute que « le poème [soit ici] posé sur la table comme une caméra ».
Le tout, en veillant à « être pragmatique », à « voir ce que ça donne » : à « faire ce que l’on peut / aussi bien qu’on le peut / notant au passage comme les poires / les cœurs se dessèchent ». À l’aide d’une caméra, mais aussi d’un appareil, analogue à celui de Vivian Maier, d’un « instrument », manié à la façon de Lorine Niedecker, d’un instrument qui « demeure mal tempéré car il procède par fragmentations » et « introduit polaroïdement des successions de pauses, temps cliquetis avec motifs illustrant la préparation autant que la répétition de meurtres. Passés et à venir. Privés ou de masse. La ligne de démarcation entre prose et poésie se dépla[çant] incessamment. Quelque chose de profond et d’acharné dans l’usage d’une technique froide. »
Pas si froide, en vérité, parce que ce « peu de rouge presque noir C’est drôle C’est morbide C’est sexy C’est actuel ».
102 p., 13,00 €