Francis Combes : La poétique du bonheur

 
par Michel Ménaché

Francis Combes est poète, il est aussi éditeur et essayiste. Dans La poétique du bonheur, il procède à un examen critique de la recherche du bonheur dans la poésie et la philosophie, d’Epicure à Nazim Hikmet, de Saint-Just (« Le bonheur est une idée neuve en Europe ») à Rimbaud qui prophétise d’en finir avec « l’infini servage de la femme »), de Louise Labé à Rosa Luxemburg, de Rabelais aux visionnaires de sociétés nouvelles émancipatrices. Ce n’est pas la chronologie qui structure l’ouvrage en 35 chapitres, entre lesquels le poète intercale des textes de son crû qui font écho à chacune des thématiques. L’essayiste a choisi de déambuler librement dans les écritures qui dialoguent d’une époque à l’autre, évoluent de la posture solitaire à l’espérance collective : « de l’horizon d’un homme à l’horizon de tous » (Eluard).
Après le triomphe de la révolution industrielle et avec le pouvoir bourgeois, la majorité des poètes, tel Baudelaire, se retournent contre le bonheur médiocre du « tiroir-caisse » et de l’autosatisfaction. La conscience malheureuse va se prolonger encore au cours du XXe siècle. Cependant, d’autres poètes ont des aspirations à élever l’homme ou à développer son aptitude au bonheur : Hugo, avec son engagement prométhéen, Rimbaud avec son appétit sensualiste, sa vision d’une modernité en rupture, etc. Le XXe siècle sera aussi celui des poètes communistes. Non des moindres : Maïakovski, Brecht, Aragon, Eluard, Neruda, Ritsos, Vallejo, et tant d’autres. Ils ont promu une espérance non réduite à l’utopie. Leur lutte commune pour le bonheur de tous a fait naître « une poétique communiste ». La révolution de l’amour découlera de la révolution sociale, non sans réticences et contradictions. Aragon et Eluard apparaissent comme les chantres de l’amour fou. Brecht reste concret et son éthique s’apparente parfois à celle d’Épicure, avec humour : « J’aime la vertu quand elle a un derrière / et j’aime qu’un derrière ait un peu de vertu ». Pour Guillevic, auteur de Terre à bonheur, c’est en vivant le quotidien « dans les coordonnées de l’éternité » qu’il entre en poésie. Le bonheur, c’est aussi de lire Diderot pour qui le libertin est inséparable du combat des Lumières. Marx apportera une dimension spirituelle au communisme et s’opposera fermement à l’aliénation de tous les sens par le sens de l’avoir.
Parmi les femmes, après Louise Labé, l’amoureuse sans tabou, Francis Combes reconnaît en Flora Tristan l’insoumise, l’initiatrice à la fois du féminisme et du mouvement ouvrier. Rosa Luxemburg, « mésange de la révolution » a su faire d’une défaite politique une victoire morale. Alexandra Kollontaï, avant Reich, a inauguré la révolution sexuelle en revendiquant l’amour libre contre « la possession absolue ». Lénine qui ne voyait en Freud qu’un « caprice à la mode » se méfia aussi de la liberté sexuelle, lui qui ne se voulait « ni moine, ni Don Juan ».
La Résistance a redéfini la nation « comme construction imaginaire et poétique ». Idée progressiste s’opposant au nationalisme radical. Enfin, on retiendra parmi tous les auteurs cités dans ce large panorama Pablo Neruda et son « appétit de vivre », s’épanouissant parmi le peuple, à l’échelle du monde, tout comme Nazim Hikmet : « Le pays que je préfère est la terre entière / Quand viendra mon tour recouvrez-moi de la terre entière. »
Cette « poétique du bonheur » élargie par Francis Combes à toutes les dimensions de l’humain suscitera sans doute des polémiques. Elle aura pour le moins réagi avec force contre la tendance des cultures dominantes à minimiser ou à marginaliser le rôle fécond des poètes…




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