Jean-Jacques Viton : Cette histoire n’est plus la nôtre mais à qui la voudra

 
par Catherine Weinzaepflen

Le titre qui reprend le dernier vers, cette sinistre histoire n’est plus la nôtre mais à qui la voudra, pourrait vouloir dire que Viton lâche l’affaire. À vous de jouer, trop c’est trop. Car ce livre est désespéré, haché, livré aux oiseaux. L’œuvre de Jean-Jacques Viton a toujours témoigné d’un regard sur le monde, un regard politique au sens étymologique du terme. Au sens poétique aussi, si l’on en croit William Carlos Williams pour qui « le monde est le lieu d’élection du poème ».

Même si dans Zama (paru en 2012) un grand oiseau noir déjà rôdait dans le ciel, Viton nous y racontait le monde. Son narrateur, Zama, était « éloigné du tumulte imprécis » du moins choisissait-il des écarts possibles face aux « expulseurs, aux banquiers, aux politiques ». Le tragique s’amorçait dans Zama et se poursuivait dans Ça recommence, non sans une dose d’humour, un des modes de pensée de Jean-Jacques Viton. Dans son dernier livre, la communauté des hommes est un souvenir, les détails des corps en marche et les chants les unifiant dans un plein été très chaud … tout cesse faisant place au dévorant souvenir.

Livre désespéré dans lequel le poète se demande comment trouver la sortie. Dans un constat tragique de l’état du monde, JJV tourne son regard vers le ciel et les oiseaux. Les mouettes, les cygnes, les hirondelles disparues, les derniers bruits d’ailes ou les 4000 mots du corbeau. S’il perpétue le dizain, comme une structure, les dizains sont ici hachés par la colère et la fatigue. La voix d’un poète porte-t-elle encore ? Et en réponse à cette question qui n’est pas nouvelle, Viton facétieux répète certains dizains en n’y modifiant qu’un vers ou un mot, histoire d’intimer au lecteur une vraie attention aux mots ou à la syntaxe du vers. Tout en suivant la longue route de la mort, le livre nous offre les éclats de beauté dont Viton éclaire ses poèmes : ainsi penser sous un bougainvillier ou longer un ruisseau et de nous accorder, à nous qui voudrons de cette histoire que c’est vrai l’existence qui s’échappe peut parfois devenir fête. Tout comme, nous lâchant la main, il nous propose une intense photographie de Marc-Antoine Serra en ouverture de chacune des deux parties du livre : ciel avec oiseaux. Sans réalisme il va de soi, des photos quasi abstraites, des ouvertures qui seraient comme des enluminures. Sous l’égide de ce motif, lisez !




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P.O.L
80 p., 13,00 €
couverture