Letztes Jahr in Marienbad

 
par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

À l’occasion d’une exposition autour du film L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, les éditions Wienand, sises à Cologne, ont publié un catalogue qui nous convie à une visite guidée de ses coulisses. On y voit les pages dactylographiées du scénario, des photogrammes du tournage, des indications graphiques et scéniques, ainsi que des considérations relatives à  la gestuelle de somnanbule de Delphine Seyrig – avec l’annotation : « donner un air bizarre : signe clinique dit du miroir ».

On apprend aussi au passage que le livre qu’elle tient ouvert entre ses mains est Le Livre d’images de Rainer Maria Rilke. Livre dans lequel a été glissée une photographie d’elle, prise l’année dernière, sans doute à Friederichsbad, ou à Karlsbad, ou n’était ce pas Marienbad comme le voudrait le titre du film ? Encore qu’il n’ait jamais été tourné à Marienbad, mais dans trois châteaux de l’ère baroque, situés dans les environs de Münich. Quant à la coiffure que D. S. adopta  pour son rôle, elle fit fureur parmi la gente chic des sixties.

Sans doute vous souvenez-vous encore de l’affiche du film : – une allée de parc, avec des figurants comme statufiés et faisant le guet. Son titre, retenu initialement, n’indiquait en rien la mention d’un lieu. Cela dut se passer : – « L’Année dernière », le nom  de Marienbad  étant venu se greffer après-coup, sans doute pour assurer son lancement. Car dès sa sortie en salles, avec  880 000 entrées rien qu’en France, l’engouement était à son comble, aussi bien pour le décrier que l’encenser. Certains virent en lui l’équivalant d’une révolution copernicienne. D’autres louaient la finition glacée du noir et blanc, propice à vous livrer un accès direct, quasi en HD, au Royaume des Ombres errantes. D’autres encore allèrent jusqu’à se déguiser et  parler à la « Marienbad » en tentant de déchiffrer entre initiés le fameux jeu des 16 allumettes. Mais seuls quelques fervents savaient que les lieux de tournage ne se passèrent nullement à Marienbad, ni à Friederichsbad, ni à Karlsbad, mais dans une sorte d’infra-monde où nos repères identitaires n’ont plus cours. Un monde anomique, invérifiable, et au fort duquel tout peut à tout moment devenir réversible, permuter de place, s’intervertir ou coïncider inconciliablement en miroir. C’est ainsi que le plein jour peut s’y déclarer en pleine nuit et aujourd’hui – où je vous parle – se dater de l’année dernière.

La critique cinématographique vit d’emblée les relents oniriques, voire surréalisants  qui imbibent tout le film. Certains incriminèrent en lui une déplorable esthétique du vide. Il est vrai qu’à première vue il n’est qu’une « suite » d’images qui défilent  en boucle. D’autres plus avisés virent en lui un piège spéculaire fait d’échos et tapissé de miroirs. Même les voix y sont factices, proférées qu’elles sont en voix-off, elles  semblent vouloir revenir par voie d’écho sur les lieux de leur profération. Quant aux images, qui ont une fâcheuse tendance à se dupliquer en miroir, elles évoluent presque en état d’apesanteur, et ne sont pas tant données  à voir qu’à visionner en état de rêve éveillé.

Au dire d’André Bazin, le hiératisme presque austère dont tout le film porte la marque « distille une gêne exquise »  et qui vous glace le sang. On en ressort du reste frigorifié, avec le faciès extatique de qui aurait effectué une traversée du miroir, et en vue de prendre connaissance d’un rituel amoureux qui doit dater de la Nuit des Temps. Rituel lors duquel on ne rejoint l’autre qu’à le perdre et se perdre avec lui.

Alain  Robe-Grillet, qui fut le co-signataire du film, voyait en lui « une sorte d’opéra conçu pour et avec un couple de statues ». Et sans doute vous souvenez-vous encore de ce couple drapé à l’antique  et auquel les deux acteurs principaux semblent donner la réplique tout au long du film en se statufiant par moments eux-mêmes en une suite de tableaux vivants.

Sur l’origine présumée des deux statues l’on s’égare en conjectures. Au dire de Resnais, elles seraient toutes droites sorties d’un  tableau de Poussin dont il dut s’inspirer. Ce qu’on sait toutefois avec certitude est qu’elles furent confectionnées en papier mâché pour pouvoir les déplacer à volonté lors du tournage.




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Ein Film als Kunstwerk
Wienand Verlag
288 p., 38,00 €
couverture