par Philippe Di Meo
Peu de poètes ont autant médité sur les peintres qu’Yves Bonnefoy. Du passé comme du présent. Marik Froidefond retrace avec bonheur ce compagnonnage dans sa préface si circonstanciée, si nécessaire.
Le poète critique fait, pour sa part, précéder son texte sur les Feuillées de Gérard Titus-Carmel d’une méditation sur le langage en général dans l’espace de l’imaginaire contemporain, rappelant l’intrication de l’écrit et du dessin dans l’œuvre de Léonard de Vinci. Il en relève naturellement l’état de « crise » dans les théories contemporaines, linguistiques ou psychanalytiques, par exemple. « Crise » étrangement associée à une peu banale prolifération du concept, comme déterritorialisé par son expansion dans presque tous les champs de l’activité humaine à un moment où, autre paradoxe, une communication de surcroît semble camper au bord d’un silence. Et d’ajouter sans enthousiasme ni nostalgie : « tout est langage et le langage n’est rien, si ce n’est sa propre vacuité ». Bonnefoy en appelle à Leopardi, Rimbaud, Mallarmé, Breton et Bataille et rappelle que, pour eux tous, les sortilèges de la métaphysique transcendantale ne sont que « vaine métaphysique » même si ces auteurs continuent à accorder du « prix » à « une promesse » entendue « dans les mots ».
C’est que la pensée moderne s’est engagée dans le labyrinthe d’une « réversibilité infinie » singularisant les signes et les objets du désir comme autant des représentations transitoires « placardées sur l’inconnu » ou pour mieux dire « sur du non-être ». Ce pourquoi, au XXe siècle, le langage ne serait que la signification jamais pénétrée par l’évidence, la positivité des symboles – parler ne s’accompagnera alors d’aucune « étoile » pour s’orienter, ni d’alternative à la solitude. Kafka et Beckett nous ont signalé pareil bégayant vertige. À ce stade de sa réflexion, Bonnefoy évoque notre fascination pour les lois du fonctionnement du langage alors qu’en dehors de ce qu’il définit et contrôle existe une réalité « impénétrée par ces catégories et ses mots ».
Titus-Carmel répond, en quelque sorte à ces sollicitations et cet échange-là augmente l’intérêt d’un ensemble à peine effleuré dans cette note. Pour ne rien dire des autres textes du poète inclus dans ce précieux volume magnifiquement imprimé, illustré.