Orpheu

 
par Philippe Di Meo

Étrangement, songeons au Bestiaire ou le cortège d’Orphée d’Apollinaire (1911) ou, encore, aux Chants orphiques de Dino Campana (1913), c’est à travers pareille figure mytho-poïétique qu’à l’orée du siècle dernier nombre de grands auteurs ont pensé le renouveau de leur art. C’est également cette figure que l’avant-garde portugaise fait sienne en intitulant Orpheu son organe. Les numéros 1 et 2 de la Revue trimestrielle de littérature paraîtront en 1915, le dernier, le numéro 3, seulement en 1917.
Dans son Introduction au premier numéro, Luis de Montalvor associe « exil » et « Beauté » (avec majuscule) ainsi qu’un idéal « ésotérique » fondé sur la « proprioception » de l’écrivain. L’art y est donné pour un « secret » un « tourment ». Un élitisme certain s’y révèle.
Cependant, comme chez nombre de futuristes italiens, on y trouve assez souvent un hiatus entre les déclarations d’intentions et la réalité des pratiques d’écriture évoluant souvent dans le sillage d’un post-symbolisme européen éthéré, à l’occasion tourné vers le Moyen Âge. Des influences nietzschéennes sont néanmoins perceptibles : « Et Dieu ne sait qui de nous deux est dieu ! » (Guisardo). En ouverture de la première livraison, les premiers poèmes de Sá-Carneiro demeurent dans ce registre du crépuscularisme (Gozzano). Fernando Pessoa s’y taille la part du lion avec trois textes, dont « Le Marin », un « drame statique », l’ « Ode maritime » et « Opiarum » (« je n’ai rien fait que fumer la vie ») de son hétéronyme futuriste Alvaro De Campos.
Pessoa et Sá-Carneiro deviennent les directeurs du numéro deux. Les poèmes du second accueillent désormais la leçon des mots en liberté de Filippo Marinetti. On découvre également un ensemble d’un « anonyme » ou d’une « anonyme » donné(e) pour Violante de Cysneiros. Pessoa publie « Pluie oblique »1 sous-titré « poèmes intersectionnistes » au moment où le débat sur le simultanéisme battait son plein de Dos Passos à Cendrars. Dans le dernier numéro, « La scène de la haine » de José de Almada-Negreiros, « poète sensationniste et narcisse d’Égypte » étonne par la liberté de son ton désacralisant : « Je me dresse Pédéraste sous les huées des imbéciles / je me divinise Catin, ex-libris du Péché ».




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Orpheu
Revue trimestrielle de littérature
N° 1, 2, 3
Traduction de Patrick Quillier
Ypsilon éditeur
273 p., 33,00 €
couverture

1. Andrea Zanzotto reprendra ce thème dans le poème intitulé : ÉTATS MAJORS OPPOSÉS, LEURS PLANS du Galaté au bois, Arcane 17, Saint-Nazaire, 1986, jusqu’à reprendre le mot portugais « chuvas » (« pluie »).