Louis-René des Forêts : Œuvres complètes

 
par Jérôme Duwa

Lire, forcément au long cours, des « Œuvres complètes » comme celles de Louis-René des Forêts revient à suivre, pas à pas, l’itinéraire d’une conscience dédoublée.
Au commencement des Mégères de la mer (1967), Louis-René des Forêts la débusque et se débusque par là même : « ce double de moi-même qui me suit à la trace / Et toujours me rattrape avec son même cri de douleur. » Il l’arrime d’une manière shakespearienne, lui qui – pendant les années sans écriture – a peint un tableau titré Elseneur, méticuleux théâtre d’agitations frénétiques : « Bouffon sur son tréteau de songes et de mensonges / Affublé de triste chair et de parole faussaire ! »
Le voilà nommé, démasqué, s’il se peut, par lui-même.
C’est aussi tout le propos du Bavard (1946), parmi les livres peut-être les plus sincères qui se puissent concevoir sur la littérature et soi-même. Sincérité. Est-ce sérieux ? Le bavard parle de prestidigitation. Il est celui qui parvient à ce degré de courage peu commun et « se propose un beau jour de substituer à son plaisir d’enchanter celui de désenchanter ».
Tout des Forêts était prêt à être accueilli par le commentaire de Blanchot lui qui, dès Faux pas (1943), posait la question de la sincérité de l’écrivain. N’est-on pas aujourd’hui plus que jamais dans une époque en pleine « crise de bavardage » ? Sans doute était-il fatal qu’un écrivain mettant en scène un narrateur avouant, après une centaine de pages, que tout ce qu’on venait de lire était le fruit d’un « besoin de parler » se retrouve lui-même, dans sa manière de dénuder la fiction, acculé à ne plus pouvoir faire « crédit au langage ».
Mais le silence n’est-il pas aussi une autre forme d’imposture ? La loi nouvelle est celle de l’errance, seule fidélité encore possible : « Que l’échéance demeure incertaine est peut-être justement ce qui l’encourage à persévérer » (Ostinato).
Persévérer à quoi, sinon à chercher ses propres « empreintes » (Les Mégères de la mer) et particulièrement celles de l’enfance, territoire d’élection où la dialectique de la vérité et du mensonge fait merveille.
Ce volume offre de nombreux documents rares ou inédits, notamment le récit Les Coupables (1938). Grâce aux correspondances, aux éclairages critiques et au travail d’édition de Dominique Rabaté, ce « Quarto » ne risque pas de devenir « un mémorial pour qui désavoue son parcours »; c’est un volume qui expose avec précision les cheminements d’une écriture de haute conscience qui a choisi, à l’instar du Webern de la Cantate, de « remettre chaque fois en cause l’essence même du langage ».


Les Œuvres complètes de Louis-René des Forêts ont aussi fait l'objet d'un article écrit par Daniel Lequette dans CCP 31-3.




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Édition présentée par Dominique Rabaté
Gallimard
« Quarto »
1344 p., 186 ill., 28,00 €
couverture