Christian Boltanski : Boltanski Buenos Aires

 
par Francis Cohen

Christian Boltanski – Annuaires : une performance

           J’appelle le pre-
mier abo-
nné de tous annuaires

Jacques Roubaud

 

Boltanski / Buenos Aires présente des photographies d’œuvres de l’artiste exposées dans quatre lieux de Buenos Aires en 2012.
Christian Boltanski est ainsi présenté : « Né à Paris en 1944. Dans son œuvre, il travaille sur la Shoah et la mémoire, en se servant d’éléments simples comme des vêtements usagés, des annuaires téléphoniques. »
Pour Christian Boltanski la question n’a jamais été comment représenter la Shoah, mais comment continuer à présenter des œuvres maintenant : montrer pendant que nous regardons le travail de Christian Boltanski et non après ne pas avoir vu la Shoah. Il n’y a pas d’images de ce réel mais un réel des objets, des voix, des listes de noms, des battements de cœur enregistrés par l’artiste depuis 2005. Lorsque nous voyons l’installation Canada, ces tas de vêtements contemporains, nous sommes regardés maintenant par l’Autrefois. « Une image, écrivait Walter Benjamin, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. » L’Autrefois est présent à la vision pendant que nous regardons.
Catherine Grenier évoque dans son texte la fameuse blague juive analysée par Freud dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient que l’artiste affectionne : « Deux juifs se rencontrent dans un wagon dans une station de Galicie. “Où vas-tu ?” dit l’un. – “À Cracovie” dit l’autre. – “Vois quel menteur tu fais ! s’exclame l’autre. Tu dis que tu vas à Cracovie pour que je croie que tu vas à Lemberg. Mais je sais bien que tu vas vraiment à Cracovie. Pourquoi alors mentir ?” »
A-t-on remarqué que ces deux juifs étaient dans un train en Pologne ? Dans les trains qui traversaient la Pologne, les juifs savaient qu’on leur mentait sur la destination finale de leur voyage.
« L’artiste était pris en tenaille entre son premier lui, Christian, l’enfant, et son second être, l’adulte Christian Boltanski. Un gouffre séparait les deux. L’un (mais lequel ?) était français chrétien, l’autre était un juif polonais. Il essayait de s’en sortir (mais duquel ?) en prétendant que l’un d’entre eux était mort. »
Et je crois que si Christian Boltanski aime ce mot d’esprit, c’est parce qu’il peut servir de paradigme à son œuvre. Par exemple vous voyez un amas de vêtements et vous croyez voir une allégorie d’Auschwitz, alors que vous voyez des vêtements d’aujourd’hui, mais il faut bien croire ce qu’on voit pour regarder ce que Christian Boltanski nous donne à voir, ainsi comme l’écrit Catherine Grenier, « la narration, si importante dans l’art de Boltanski, n’est pas ce qui produit de l’image mais l’effet induit par celle-ci. »



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Sous la direction de Diana B. Wechsler
Eduntref / Les presses du réel
284 p., 35,00 €
couverture