par Siegfried Plümper-Hüttenbrink
à Jean
J’ai commencé à prendre connaissance de La phrase de Québec avec l’intime conviction que Peter Handke t’est un frère en esprit. Lui aussi s’applique à ouïr un passant dans les feuilles sèches qui crissent. Lui aussi va d’emblée aux lieux où il y a des yeux. Lui aussi ramasserait une feuille d’érable en guise de sauf-conduit pour entrer en terre québécoise. Lui aussi, je le vois tel un haruspice scruter au loin les avions de passage, avec les passagers à leur bord. Et tout comme toi, il attend en guetteur les lettres et les nouvelles du monde. Tout comme toi, il explore des poches de silence dans le brouhaha des foules passantes. Tout comme toi et Pascal, il sait aussi « se tenir en silence autant que faire se peut » et se mettre en stand-by. Posté en attente de ce qui ne tardera pas à survenir et à lui faire irrécusablement signe. As-tu déjà lu Lent retour qui se passe du reste en Alaska ? Un même désir nomade semble vous porter au loin, là où l’ailleurs a encore droit de cité. Un ailleurs qui n’a rien d’imaginaire. Il suffit d’aller dehors, dis-tu, ou de regarder par une fenêtre pour l’entre-apercevoir. On se met alors à voir soudain le monde tel qu’il est lorsque personne n’est là pour le voir. À le deviner aussi, et le dire élémentairement, en toute ingénuité, comme seul l’enfant en nous sait encore le faire. D’instinct il sut que l’acte de proférer, de s’ouvrir la bouche, et de buer dans le froid hivernal, est un acte de magie blanche qui le fit s’exclamer ou s’interroger sur bien des choses. Et à ainsi ponctuer d’un Oh ou d’un Ah ses dires et ses épiphanies, ne détiendrait-il pas aussi la phrase qui fasse enfin surgir ce qui est là et qui ne survient toujours qu’en hors-langue, lorsque les mots en viennent à te manquer ou à s’énoncer légèrement de travers. Cette phrase, et dont tu restes en quête, n’en use-t-il pas comme d’un sauf-conduit ? Une phrase définitive, dis-tu, et qui ouvrirait sur l’ailleurs ? Une phrase transmise et reçue de Québec et dont il ne tient qu’à toi pour qu’elle s’avère une phrase-relais qui nous lie et relie à distance, alors que nous sommes loin, où que nous sommes et qu’atteindre l’autre (toujours de l’autre rive) est un voyage qui nous éloigne de nous-mêmes, nous expatrie au loin, dans l’ailleurs.
Bien à toi, S.