Bertrand Schefer : La photo au-dessus du lit

 
par Hervé Laurent

En dialogue avec lui-même, le narrateur use d’un tutoiement parfois autoritaire, celui qui vient au moment de s’exhorter à accomplir une tâche qu’on croit insurmontable, en l’occurrence, ici, reconstruire le récit d’un souvenir que pendant trente ans, il a tenu enfoui. Tout commence dans une chambre d’enfant saccagée, tu vas détruire méthodiquement le décor qui constitue ton univers, et se poursuit sur la lancée de cette violence préparatoire, par la démonstration d’une violence plus dévastatrice encore, celle de la représentation, que manipulent les adultes – ou qui les manipule. Ce récit n’est pas labellisé « roman », comme l’étaient les deux précédents1. La brièveté du texte – sa taille l’apparente à la nouvelle – suffirait à expliquer cette indétermination, mais son extrême densité, quasi irradiante, est sans doute aussi cause de la répugnance de l’auteur à lui imposer quelque étiquette générique que ce soit. Il semble plutôt que, reprenant la notion barthésienne du punctum2 photographique, il en a déduit une situation dont la perversité particulièrement sophistiquée constitue un défi à la possibilité même d’en faire récit. Le relatif happy end ne dissipe pas un vertige persistant.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
P.O.L
72 p., 7,90 €
couverture

1. L’Âge d’or, Allia, 2008 et Cérémonie, P.O.L, 2012.

2. Roland Barthes, La chambre claire, Cahiers du Cinéma / Gallimard, 1980.