par Sébastien Hoët
C’est toujours une grande expérience, une expérience poignante, que de lire Pascal Quignard, et précisément ses « traités » – qui mêlent récits brefs, méditations philosophiques, réflexions sinueuses sur la langue et les arts, dans le climat éthéré, énigmatique, d’un retour à un « Jadis » inaccessible. Ce Jadis constitue le point aveugle et envoûtant de la « phonation » humaine, de toute langue : l’image non visible qui a présidé à la naissance de l’homme, que cette image soit celle de la nuit sexuelle, fécondante, ou celle de l’ancêtre confronté à la nuit préhistorique et au fauve qui cherche l’homme silencieusement. Pascal Quignard cherche à opérer dans la langue une torsion de la nuque qui permettrait à cette langue socialisée de revenir au verbe silencieux, au pur effroi solitaire, dont elle est pourtant le bruyant congé, le congé faussement apaisé. D’où la nécessaire fragmentation. Ici, Pascal Quignard retrouve dans la pensée, la noesis, les postures de la chasse, et ce qu’il appelle « la rêvée », ces images originaires dans lesquelles les signes, les symboles, les concepts, se diluent, où ils trempent et s’indécident. Penser est mourir si la pensée revient à soi, à l’instant pré-humain où le temps n’a pas encore commencé sa pulsation.