par Véronique Vassiliou
« tant les vers y tracent des orbites elliptiques irrégulières »1
Enfin, la « forme humaine » d’Aris Alexandrou, ce poète grec magnifique, nous est livrée dans toute sa grandeur, par l’excellente maison d’édition Ypsilon qui sait travailler les pages comme de la dentelle :
« ce que moi j’écris fondra rapidement
comme les chairs
mais s’il arrive que de rares lignes en soient conservées
comme une mâchoire est conservée dans la poussière d’un crâne
les paléontologues pourront alors reconstituer
ma forme humaine. »
Mort à Paris en 1978, après avoir publié un unique roman La caisse, chez Gallimard, traducteur herculéen du russe (et notamment de Maïakovski), de l’anglais, du français, il connut la guerre civile, la répression, la déportation2.
Ses poèmes en langue concrète-abstraite n’ont pas plié sous le poids politique, ils s’en sont comme dégagés ; ils sont tournés vers un ciel utopique traversé de vrais nuages sans aucune forme poisseuse de lyrisme ou d’exaltation.
Ce qui frappe et fort, c’est leur modernité quasi objectiviste. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un autre testimony. C’est Jdanov qui est démonté ici pour mieux en renverser sa théorie :
« et par conséquent la poésie
est une affaire antisociale. »
Sociale sera donc sa poésie et son bout de ciel « réglé comme un cahier d’écolier », traversé de perturbations et de nuages maïakovskiens.
Le voici donc bien vivant, Aris Alexandrou, car :
« En tant qu’homme , il vivait parmi les hommes
et savait qu’il resterait vivant
tant qu’eux pourraient entendre sa voix – fût-elle déformée. »
Et sa voix résonne haut et fort en nous, si proches de cette Grèce qui tremble à nouveau.
1. p. 109.
2. Dans le camp de Makronissos entre 1947 et 1951 où il fut enfermé aux côtés de Yannis Ritsos, entre autres poètes. Voir L’amertume et la pierre. Poètes au camp de Makronissos. 1947-1951 chez le même éditeur.