Bartolo Cattafi : Mars et ses ides

 
par Christophe Stolowicki

Dans un martial porte à faux, un poète sicilien taille dans la canicule des médaillons dont la ciselure dérobe le mirage : vignettes à l’emporte-liesse. Les dieux sont là. Enfouis deux millénaires et des poussières dans leurs urnes dont la cendre projette quelques halos opaques dans le ciel implacable, ils dressent dans la constellation du chien une armada de faits simples, poèmes brefs, carrés, rescrits de restriction nodale. En premier celui de la guerre, affranchi de la tutelle de Jupiter pour qui « se regarde / dans un cartouche vide ». Une levée en couverture de boucliers antiques révèle au dos – détourés, décolorés – leur trame, un effilochage substantiel. Dans des « Vasques pépinières célestes / d’hypothèses immergées / hyperuranies / […] poignée d’eau fraîche », « neptune [aux] yeux rieurs ». Passe l’ombre d’Œdipe sachant « avec [les] verres cassés [de lunettes] opérer un détachement d’huîtres / soigneusement / s’arracher les yeux ». Quand le temps s’étire, fulgure, à l’œil d’aigle induré dans son orbite, à contre-jour dans « une courtepointe / la peau d’un thon à peine tué / […] semée de petits losanges […] / affleure une géométrie tenace ». Dans le fond de l’œil, dans son pépin gît une foudroyante métaphysique – un parti pris des choses se défait : « la concrétude des objets […] / telle […] que je pourrais en faire des ailes ». Bombes lentes, grenades défensives jetées d’une profonde retraite – bientôt armes à un seul coup lâché à la chute ou faisant long feu. L’on retient son souffle à chaque poème pour esquiver celui de la déflagration. En « deux dimensions / en long et en large » close comme un échiquier la mer d’Homère, s’alentit se résorbe une tradition rhétorique qui s’est fait la bouche avec des cailloux. D’amertumes choisies, le futurisme tourné vinaigre, anachronique forte de brisure contemporaine, la poésie de Bartolo Cattafi (1922-1979), de chute en chute tendue à l’élastique, de mur en mur de guérilla urbaine se faufilant, vouée aux ides funèbres ne bombe plus le torse.




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Héros-Limite
Traduit de l’italien par Philippe Di Meo
144 p., 16,00 €
couverture