par Philippe Di Meo
Traducteur du dramaturge anglais, Yves Bonnefoy a regroupé ses écrits sur Hamlet qu’il a fait suivre d’une Lettre à Shakespeare et de deux entretiens1, comme pour tenter de clore un cercle.
Le poète distingue deux niveaux de réalité, celui des affects dans le monde immédiat et celui de l’action dévolue à l’espace que la pensée analytique institue. Un constant porte-à-faux en résulte. Rien d’étonnant alors, si, discourant de l’auteur d’Othello, une définition de la poésie nous est faufilée : « remplacer le niveau de conceptualité des mots par un autre désignatif, de plain-pied cette fois avec l’instant et le lieu d’une existence avertie de soi ».
Hamlet aborde ainsi un undiscovered country qui n’est pas la mort, que Dieu explique, mais le néant, dans l’abîme duquel c’est Dieu lui-même qui sombre.
Dans une réalité assimilée à un réseau d’illusions, d’apparences, Claudius devient, pour Bonnefoy, une sorte de miroir d’Hamlet, d’où une fascination et les remarques sur la différence entre ce qui semble et ce qui est.
Ce pourquoi, porteurs d’illusion, les comédiens qui arrivent à Elseneur sont aussi, de ce fait, des porteurs de vérité. La représentation des valeurs équivaut dès lors à une inconsistance.
Et s’il y a bien théâtre dans le théâtre, il y a aussi « un texte dans le texte », la représentation du Meurtre de Gonzague. Hamlet n’ajoute-t-il pas « 12 à 16 vers de sa façon » à cette pièce-là, où la forme prime sur la parole ? Il y a donc passage de l’une à l’autre.
Hamlet en appelle à la « mesure » pour finir par exposer paradoxalement une poétique qui interdirait à Shakespeare d’écrire sa pièce.
Alors ce que nous avons, c’est une écriture en devenir. Et qui le reste.
À l’opposé la forme fixe se donne comme univers sclérosé, le risque que la mesure fait courir à l’esprit. Pour Bonnefoy, ces deux moments révèlent le piège métaphysique où s’emmêle la pensée qui « va par concepts ». Et si Shakespeare domine notre pensée, c’est parce que notre pensée s’alarme. Également à ce propos, est-il suggéré.
précédé de Ce qui fut sans lumière
et de La vie errante
Gallimard
« Poésie »
252 p., 9,90 €
Seuil
« La librairie du XXIe siècle »
148 p., 18,00 €
1. Respectivement avec Stéphanie Roesler (La voix de Shakespeare) et Fabienne Darge (Jouer Hamlet dans le noir).