James Joyce / Italo Svevo : Correspondance

 
Par Anne Malaprade

Cette correspondance comporte quatorze lettres échangées entre février 1909 et avril 1928 : Svevo (né en 1861) est à Trieste ou de passage à Londres, Joyce (né en 1882) à Paris. Les deux écrivains évoquent leur travail respectif. La première lettre de Svevo – il apprend alors l’anglais avec Joyce qui lui demande de commenter son travail en cours – évoque des extraits de A Portrait of the Artist as a Young Man. L’élève d’exception n’hésite pas à se montrer critique tout en reconnaissant la puissance d’écriture du maître : « Vous êtes contraint de n’écrire que sur des sujets forts. Entre vos mains expertes, ils peuvent devenir encore plus forts. Je ne crois pas que vous puissiez donner une apparence de force aux choses qui sont faibles en soi, sans importance. Je dois dire que si vous deviez écrire tout un roman dans le seul but de décrire la vie quotidienne sans un problème qui affecte puissamment votre esprit (vous ne choisiriez certainement pas un roman de ce genre), vous seriez obligé de renoncer à votre méthode et de trouver des couleurs artificielles pour prêter aux choses la vie qui leur fait défaut ». Joyce se montre, d’une manière générale, très drôle dans ces échanges. Il multiplie des jeux de mots plus ou moins graveleux, écrit en dialecte triestin, emploie des termes allemands, bref ne cesse de jongler avec les mots et les langues. Il s’efforce également d’aider Svevo dont les deux premiers romans, qu’il considère lui-même comme des « erreurs de jeunesse », n’ont reçu aucun écho dans son pays natal. Ainsi, il demande à Benjamin Crémieux et Valery Larbaud de consacrer, dans la Revue de France et la Nouvelle Revue française, un article à La Conscience de Zeno. Svevo meurt d’un accident de voiture en septembre 1928, mais Joyce continue d’envoyer quelques lettres à sa veuve Livia Venezia dans lesquelles il ne perd jamais son sens de l’humour, notamment à propos de l’écriture de Finnegans Wake qui paraît, enfin, en 1939 : « Mon livre sera publié jeudi à Londres et en Amérique. C’est aussi la sainte Monique si je me souviens bien. Mais c’est moi qui suis peut-être un cul (pardonnez-moi siora) d’avoir consacré dix-huit ans de ma vie à achever ce monstre de livre. Mais que faire ? C’est de naissance. Mais, bon sang, j’en ai assez. Voilà tout. »
Le volume propose également quelques documents éclairants : des extraits d’études de Svevo consacrées à l’auteur d’Ulysse (« une objectivité appliquée avec une rigidité dont je dirais presque qu’elle relève du fanatisme »), des souvenirs de l’épouse de Svevo qui raconte dans quelles circonstances les deux écrivains ont fait connaissance, et comment le plus jeune a encouragé l’ancien – élève confirmé s’il en est, auteur de Une Vie et de Senilita, et pourtant désespéré de ne pas être lu ni reconnu : « Le tempérament pugnace et tenace, la profonde assurance de l’Irlandais […] ont exercé une influence bénéfique sur le caractère dubitatif d’Ettore », et enfin un texte de souvenirs rédigé par Letizia, la fille de Svevo. D’après celle-ci, Joyce se serait inspiré de son père pour le personnage de Bloom, tandis que la chevelure de sa mère évoquait pour l’écrivain irlandais le fleuve blond qui traverse Dublin.




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La Nerthe
112 p., 10,00 €
couverture