Caroline Sagot Duvauroux : Un bout du pré

 
par Sébastien Hoët

Les livres « sur » la poésie écrits par des poètes qui ne cherchent pas à faire œuvre universitaire sont plutôt des livres dans la poésie, qui tracent des lignes de fuite ou se laissent emporter par les fameuses « lignes de sorcière » de Deleuze, soit une série de traits qui ne forment pas une carte ou une géographie, mais improvisent des territoires aux limites non tracées, volatiles, sans cesse rejouées plutôt que repoussées. Le livre de Caroline Sagot Duvauroux obéit à cette non-logique généreusement erratique, comme l’avait fait avant elle, dans cette même collection, un Christian Hubin par exemple, ou le Grand Ancien qui donna le titre à la collection, Julien Gracq. Julien Gracq qui est présent dès le début du livre et n’est pas loin de le clore. Mais chez Julien Gracq, dans En Lisant, en écrivant donc, le géographe insistait encore, qui se repérait entre les grands cols – les Flaubert, Balzac, Stendhal, ou Tolkien, Poe… – sans prendre le risque de nommer ses contemporains certes plus modestes, et ce même s’il sut tempêter contre eux quand il le fallut, ou les méprisa assez ouvertement (Le Nouveau Roman) ; chez Hubin, dans Le Sens des perdants, il s’agissait de chercher dedans ce qui est au fond, ou derrière sans être ailleurs – l’insu, l’amuï (selon son terme). Chez Sagot Duvauroux, nous sommes dans une forêt de broussailles, un jardin bien plus anglais que français (heureusement), où toutes les espèces végétales et animales s’entremêlent dans une formidable vitalité et sans privilège de races et autres : « Il y avait un énorme tas de livres au grenier, j’ai pioché là le dégoût des hiérarchies, le délice de la surprise et le bout de la langue excité » (p. 13). Ainsi se côtoient et prolifèrent une multitude d’écrivains, les Proust, Bénézet, Quignard, Didi-Huberman, Prigent, Clément, Collobert, Noël, et tant d’autres, plus discrets, que même un collaborateur régulier du CCP ne connaît pas. On ne peut qu’être admiratif d’un tel foisonnement, d’une telle foi dans la vivacité du poème dans l’instant de sa mort proclamée : «  Poésie contemporaine, un vivier ? Un mouroir ? Depuis qu’on dit qu’elle meurt la poésie on se demande si mourir n’est pas sa vie même (…) Alors, nous jouons, dans ce terrain incertain, aux semences non homologuées par les grands semenciers » (p. 108). Ce jardin un peu fou est un beau microcosme du monde poétique contemporain, un pendant à taille humaine de la récente anthologie monumentale, Un nouveau monde, publiée chez Flammarion.




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Éditions Corti
« En lisant en écrivant »
216 p., 20,00 €
couverture