Serge Pey : Flamenco. Les souliers de la Joselito

 
par Michel Ménaché

Enfant des désastres de la guerre civile espagnole, chantre des insurgés, héritier de la poésie de Lorca et de Rafael Alberti, dans la proximité du théâtre de la Cuadra de Sevilla (Andalucia Amarga), Serge Pey consacre à la Joselito, « sorcière noire de la danse noire » un grand poème narratif aux fulgurances rythmées des pieds et des mains, une célébration enflammée du flamenco…
Dans une lettre-hommage à son maître d’espagnol, Martin Elizondo, ayant éveillé les enfants de réfugiés à la poésie et au théâtre, il venge cet « oublié central de l’inauguration du Théâtre National de Toulouse », bâti sur l’emplacement même du CEG Maurice-Fontvieille où il avait conduit l’initiation à la langue et à la culture hispaniques.
Un premier ensemble intitulé Les Aiguiseurs de couteaux (los afiladores) est écrit à l’occasion des obsèques de la Joselito à l’église St-Sernin de Toulouse, avant son enterrement à Béziers, en 1998. Danseuse dès l’âge de cinq ans, « voleuse de pas », Carmen Ascensio, devient la Joselito, du nom masculin du célèbre torero tué par le taureau Bailaor (le « danseur »). Le destin de la danseuse s’inscrit dans une trinité symbolique forte : el Joselito, Gomez « el Gallo » lui transmet son nom comme un pouvoir avant d’être tué par le taureau danseur, lui-même tué dans le combat. « Réincarnation de deux morts », elle est mariée à un autre Gomez, « Relampago », son guitariste : « elle fut mariée une seule fois avec deux hommes dont elle portait le nom en même temps. » À la mort du second, « Relampago », elle rejoint le guitariste flamenco Pedro Soler à Toulouse qui l’accompagnera jusqu’à sa mort et sera présent à ses obsèques : « le guitariste écoute la morte / qui danse / à l’intérieur du cercueil / comme un tambour. »

Coplas infinies pour les hommes-taureaux du dimanche est dédié à Jean-Marie Binoche qui inventa des centaines de masques de taureaux pour les prisonniers du pénitencier de Carabanchel. Une corrida avait été organisée à l’intérieur de la prison en 1992. Le mythe des hommes-taureaux irrigue le recueil : « Faites-moi de l’air disait Dieu couché sur la deuxième planche de la cellule […] Dieu s’attachait des masques pour moissonner les morts. » Le poète, aficionado, célèbre les grandes figures du flamenco. Dans un poème dédié à Isabel Soler, le thème du flamenco « comme un poème debout » contre « le feu noir » de la mort est magnifiquement suggéré : « Il faisait froid / et la danseuse chaussait / des oiseaux dans ses souliers / pour donner la vie à vivre / et la mort à mourir. »

Outre les Photos de la voix pour cinquante cantaors, l’ouvrage s’achève sur un entretien très éclairant du poète avec Ramiro Oviedo : « Avec le flamenco, les poètes ont en commun la terre et les pieds. Mouvement de pied mental sur la page du ciel. » Une poétique du débordement en cataracte d’images paradoxales, d’où jaillit comme un rituel le chant profond, « l’incendie de l’âme » à voix nue…




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