Michel Butor. L’univers géopoétique

 
par Michel Ménaché

Michel Butor. L’univers géopoétique rend compte de deux projets organisés en présence de l’auteur : Entre art et littérature, le paysage véritable de Michel Butor (Université de Rimini, novembre 2012) & L’Opera Giardino (Villa Reale, Milan, mai 2016). Isabella Bordoni, en ouverture, reconnaît en Butor « un prodige », « pris entre génie du lieu et génie du temps » qui laisse en héritage le fruit d’un parcours planétaire, « pont entre le poétique et le politique ». Elle le qualifie de « militant du franchissement » qui ne laisse pas place au narcissisme et « s’évade de sa propre légende. » Sa pensée géographique et arborescente s’écrit de manière topographique. Communications, dialogues et propos de Butor lui-même, en patchwork thématique, entrouvrent le labyrinthe textuel à l’auditoire d’étudiants et d’enseignants.
Mireille Calle-Gruber, directrice de la publication des Œuvres complètes, considère que Butor à travers ses récits stéréoscopiques de voyage, établit « une cartographie des altérités. […] Butor ne prend pas. Il ne conquiert pas. N’occupe pas. Ne colonise pas. Il reçoit. Il se laisse recevoir. Il se fait réceptacle. » Démarche philanthropique, dit-elle, non réductible à l’humanisme. En périmant la culture du roman avec Mobile, texte mosaïque, l’écrivain nomade s’ouvre à tous les potentiels de la poésie, à commencer par l’art du collage hérité des surréalistes. Les cinq livres du Génie du lieu sont des récits autobiographiques habités par le voyage. Ils englobent à la fois étude géographique, critique littéraire, réflexion ethnographique et forme romanesque. Ouverts aux cinq continents, ils sont aussi porteurs de « l’engendrement des œuvres par les œuvres ».
Faisant très tôt scandale malgré lui (Mobile), Butor évoque le prix à payer la liberté d’avoir perturbé les codes et les idées. C’est tardivement qu’on le reconnaît comme poète après une longue méfiance de ses pairs. Paolo Fabbri commente le passage de l’écrivain célèbre à l’artiste à propos de Boomerang : « Avec Butor, le réel transcende le roman. » Il interroge l’auteur sur son concept de « critique littéraire de l’espace » et sur son affirmation qu’il existe « un inconscient des lieux ». Il le décrit encore comme « le braconnier aux terrains de chasse variés », pratiquant en « transducteur » l’écriture multimodale. Butor lui répond qu’il mêle volontiers « la littérature grise » (des informations et circulaires administratives) à la « littérature en couleur » des écrivains.
Butor apporte, entre autres réflexions sur lui-même, le témoignage de l’écrivain vieillissant qui redécouvre son enfance : « l’enfant qu’on était va renaître et nous dire des choses que nous ne savions plus. » Et il découvre enfin de la vieillesse ce qu’il ne savait pas encore… Il s’identifie à la fois au Minotaure, le prédateur, à Dédale, le constructeur, et à Icare, l’aventurier du rêve. Question fondatrice : comment parcourir le labyrinthe textuel et transformer le monde par le langage ? Il s’est rêvé peintre et musicien, c’est pourquoi, en écrivant, il veut compenser le manque : « faire voir des choses et faire entendre des choses ». Son ambition : créer une œuvre d’art totale.
La multiplication des langues depuis le mythe de Babel n’est pas un malheur pour Butor mais une chance extraordinaire. Les mots changent continuellement. Seuls les régimes dictatoriaux ont la volonté de fixer le langage, de l’empêcher d’évoluer. Enfin, il rend hommage aux traducteurs qui sont les meilleurs lecteurs des écrivains. Diversité féconde des langues !
Butor, polygraphe itinérant, s’est exprimé en libre défenseur du français, pour « mettre le monde au monde », selon le mot de Mireille Calle-Gruber. Cet ouvrage est un bel hommage à l’écrivain récemment disparu.




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Textes / paroles : Michel Butor, Isabella Bordoni, Mireille Calle-Gruber, Paolo Fabbri
Traductions : Irene Aurora Paci, Antonin Gauthier
Viaindustriae Publishing / Les Presses du réel
128 p. + DVD, 35,00 €
couverture