Guy Bennett : Ce livre

 
par Hervé Laurent

Ce livre apporte la preuve qu’en pensant s’intéresser exclusivement à lui-même (en mode making of) il ne fait surtout pas l’économie du reste. Ou, comme l’écrit l’auteur : (…) n’est-ce pas un cliché (post-)moderne / de prétendre que l’absence du sujet / est / en fait / un sujet (…)1
Les cinq parties, numérotées mais non titrées de Ce livre, sont rédigées alternativement en vers et prose, et pour discriminer encore les deux régimes, en caractères romains pour la forme versifiée et en italiques pour la prose. La lectrice attentive2 sera sensible à ces effets de rupture qui viennent contredire l’unité postulée de l’ensemble. Pour commencer, le titre de Ce livre – par l’emploi du déictique – rappelle que Le livre, aujourd’hui soumis à un processus de dématérialisation, est encore un corps qui résiste. Cette persistance est d’autant plus marquée que Bennett a choisi de rédiger en Markdown3, sans que les instructions propres à ce genre de programme soient effacées. Preuve de corporéité par l’exposition des stigmates, en quelque sorte.
En tête de la troisième partie, un genre de didascalie indique : [Mise en page à la manière du *Coup de dés…* de M.] Rien de tel ne s’ensuit : les lignes de vers se succèdent, justifiées à gauche. L’imaginaire (et la culture) de la lectrice sont donc implicitement sollicités, au moment précis où Ce livre assigne une limite au spéculaire comme pour en libérer le travail spéculatif. Au passage, l’auteur en profite pour affirmer : je ne suis pas un agnostique du sens. Une pensée retorse, donc (plus qu’il n’y paraît) est à l’œuvre dans Ce livre, servie, enrichie, par l’intelligente élégance du traducteur4 et le soin attentif et sans faille de la typographe5. Il n’en fallait pas moins pour que se déploie dans toute sa richesse et sa complexité une réflexion commencée sous le régime assez sec de la tautologie. Si la poésie de Guy Bennett procède de l’évidence6, c’est pour en rogner, avec un plaisir non dissimulé, le territoire déjà bien exigu.




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Traduit par Frédéric Forte et l’auteur
L’Attente
96 p., 11,00 €
couverture

1. p. 86

2. L’équipe rédactionnelle de CCP me refusant depuis toujours la féminisation de certains mots tels écrivain ou auteur, j’ai décidé de me rabattre sur le féminin de lecteur, lequel, dûment répertorié par les autorités orthographiques ne pourra m’être refusé, j’espère.

3. Markdown est un langage destiné à la publication de textes en format HTML.

4. À propos de ce passage : (…) l’auteur de ces lignes / cherche à suggérer / à ses lecteurs / que / le volume qu’il tient entre ses mains / tente peut-être aussi / d’explorer / les limites / et les fins / de l’autoréflexivité / ainsi que sa place (…) Intuition du traducteur ? Suprême raffinement de l’auteur ? S’il y a cependant coquille, c’est une perle de sens qu’elle renferme et qu’il faut, à tout prix, préserver.

5. Françoise Valéry.

6. On doit à la même équipe : Bennett-Forte-Valéry, l’impeccable suite des Poèmes évidents (L’Attente, 2015) qui, rétrospectivement, semble avoir jeté les bases, à propos du poème, de la réflexion poursuivie ici à l’échelon du livre. Les deux, à réunir dans la lecture, comme les volets d’un diptyque.