Christine Lavant : Je veux partager le pain avec les fous

 
par Narciso Aksayam

Cette adresse, de colère trempée, métal saisi, lancé en hymne au ciel, d’une blessure aux métaphores serrées, cette adresse à quel tu ? se creuse d’un Moi au verger nervalien de nombres. Un Seigneur – un Dieu ? – surnuméraire, elle l’écarte d’un revers à peine, sur d’autres chemins, détournés du Monde, entre plomb et cercueil, entre Mort si belle et Foi en une consolation d’étoile jetée aux chiens. Assertive, nette, déterminée, tranchante moritura qui fend la foule, à rebours dressée des illusions, sa voix traduite élève une prière fière, impérative, souveraine, où se dévore de vide un crâne ascétiquement abdiqué. N’ignorions-nous pas que toute âme est un dialogue, éclaté, comme le pain rompu qu’on tend à l’autre en sa maigreur, part déjà prélevée par Dieu, part perdue ? Ni havre ni reliquaire, humble effacement prié, sollicitation d’une mémoire qui se vide par mille plaies sourdes, aumône quémandée à la porte de son propre destin, à moins que ce ne soit à la terre, à la tombe elle-même, ou au temps échappé… quête d’un amour tiède sous les neiges, ou d’un opprobre d’épines. De quel halo de sollicitude inexorable Hugo Hengl a-t-il dû s’envelopper, pour creuser dans un français très pur ce catafalque lent, et doux comme un lait narcotique aux saveurs automnales, pour faire entendre en son centenaire cette langueur autrichienne aux appels immenses d’amour étouffé, pour laisser gémir en lui-même le renoncement insatiable et le relais meurtri de ce lyrisme de dénuement, élans angéliques rongés, comme l’or mordu et marqué d’une vie de menue monnaie égarée dans les doublures de la beauté !




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Traduit par Hugo Hengl
Fissile
« Maigre » n° 29
24 p., 5,00 €
couverture