par Hervé Laurent
C’est sur l’ancien sentier des Douaniers, entre Roquebrune et le Cap-Martin que j’ai véritablement compris le sens du mot Côte d’Azur. Le ciel était lapis-lazuli et la mer cobalt1, remarque Célia Houdart. Ainsi, ce qui s’annonçait comme un pèlerinage laïc à un sanctuaire de la modernité architecturale, ramène la promeneuse au langage. L’écrivain, allant aux choses, les éprouve à travers les mots. C’est aussi de cette façon qu’elle aborde la villa d’Eileen Gray, but de sa quête.
D’autant qu’elle doit se contenter de tourner autour, les visites publiques étant interdites à l’époque où elle s’y rend. Mais elle s’en est déjà fait une idée à partir d’un film – une maison grecque intemporelle – et surtout de photographies2 : c’est une architecture-poème – référence aux différents textes qu’Eileen Gray avait peints à même les murs. Houdart insiste : un calligramme, et précise : on est plus proche du Coup de dés de Mallarmé que de La Charte d’Athènes3. L’unité du poème qui se développe sur les murs est d’ailleurs compromise par les fresques que peindra Le Corbusier dans la villa E-1027, contre l’avis de sa créatrice, après qu’elle l’aura quittée. C’est encore Le Corbusier, qu’on soupçonne aujourd’hui d’avoir tout fait pour effacer le nom d’Eileen Gray de l’histoire du design et de l’architecture modernes4. Sur le chemin côtier qui relie le village de Roquebrune au Cap Martin, Célia Houdard n’est rien venu vérifier de ce qu’elle avait lu dans les livres et vu dans les musées, mais elle a choisi de passer un moment à proximité de l’œuvre principale d’une autre femme qui, dès la fin des années 1920, pratiqua en poète une architecture et un design d’avant-garde.
L’aller en train avait donné lieu à une saynète détaillée ; le voyage de retour se résume à une seule notation qui termine le récit, laissant aux mots le dernier mot et doublant l’éclat du bleu azuréen d’un noir que traverse une brève lueur syncopée : (…) les mots « Monaco – Monte-Carlo » clignotaient dans un tunnel5.
1. p. 29
2. Film et photos vus à l’occasion de la rétrospective Eileen Gray, Centre Georges Pompidou, Paris, 20.02 - 20.05.2013.
3. cf. p. 27-28.
4. p. 33
5. p. 86