par Antoine Emaz
Ce premier livre d’Emmanuel Laugier a gardé sa force, sa vitesse, son impact1. Un espace, la ville, Paris, mais pas les beaux quartiers ; pas de foule affairée, plutôt des solitudes ; des rues sans caractère, simples perspectives ou barres d’immeubles ; très peu de ciel, pas de verdure, et beaucoup de nuit. Un décor urbain sans étonnement : un lieu neutre, froid, presque étranger. L’œil du « je » capte cet espace à la manière d’une caméra et lui superpose par moments des souvenirs restés présents ; chaque poème apparaît comme une séquence de film dans laquelle on pourrait retrouver les soucis de cadrage, montage, éclairage, éléments de scénario, personnages récurrents ou leitmotivs visuels… mais sans pouvoir décider in fine de ce qui s’est passé : une séparation, sans doute, mais tout est fragmenté, pris par l’écriture dans une vitesse intime et dans des boucles proches du mouvement de la conscience, mais loin d’un récit clair, arrêté. Dans ses livres suivants, Laugier délaissera le décor parisien, mais il conservera cette proximité avec le cinéma, métaphore de l’écriture mais surtout caisse à outils pour une poésie visant à restituer au plus près l’expérience intérieure et la mémoire. L’œil bande est bien un livre inaugural, décisif, en ce sens.
126 p., 20,00 €
1. Publié en 1996 par Deyrolle, L’œil bande est repris ici par les éditions Unes, avec quelques corrections de l’auteur et l’ajout d’une éclairante postface d’Anne Malaprade.