Emmanuel Hocquard : Comme un orage

 
par Déborah Heissler

À présent, je la tiens sous mon regard
la distance1

 

« Emmanuel Ponsart n’a peut-être pas tort de republier ce livre, ne serait-ce que comme témoignage affectif et trace archéologique » écrira Emmanuel Hocquard dans « Re-lire » sa postface à la dernière édition de Comme un orage au cipM, l’an dernier. Daté du 21 juin 1970, Comme un orage figure à cet égard – ce que le poète explique ne pas avoir pu prévoir –, le « prototype » des livres édités par la suite aux éditions Orange Export Ltd.
Onze distiques, dont Hocquard nous dit qu’ils peuvent se lire comme une sorte de « ritournelle sans commencement ni fin », transposant tout à la fois dans la topologie du regard et de sa focale (onze clichés érotiques accompagnent le poème) et du temps (« Elle est la distance des jours / Elle a tous les noms de l’absence ») plusieurs modes d’inversion poétique, qui ne cessent de traverser l’image, construisant par là même le « point de floraison » du poème au sein d’un dispositif optique.

distique 3 (v. 6) Elle est l’image solitaire
distique 6 (v. 12) Elle montre le ciel
distique 9 (v. 18) Elle est les contours de la nuit
unique négatif photographique
distique 11 (v. 23) Elle a tous les noms de l’absence

Réduite à ces articulations principales (« l’image solitaire » du v. 6 renvoyant à l’unique négatif photographique de la série v. 18 « Elle est les contours de la nuit »), c’est bien au sein de ce premier dispositif que se joue dès 1970 chez Emmanuel Hocquard, une pensée de la négativité introduisant (comme il le précisera en 2016 dans « Re-Lire ») « moins des comparaisons que des disjonctions » en place et lieu des images qui ponctuent le poème Comme un orage.
« Aucune fiction » dit encore Claude Royet-Journoud au sujet de cette conjonction du texte et de l’image. Le poème appelle un onzième distique, à la clausule, où ce Elle (qui « a tous les noms de l’absence » v. 23 et les attributs érotiques d’une figure féminine où se joue à jamais « la mémoire d’un déplacement et la violente beauté d’un orage »2), n’est réduit(e), que lambda, 12e lettre et 9e consonne de l’alphabet latin, au « (palindrome monosyllabique) » ne renvoyant à personne et qui n’est donc pas non plus « un pronom personnel »3.
In absentia cette 12e lettre et néanmoins. L, elle, la métrique élégiaque des poètes néo-alexandrins et lui, le texte ; « [ce] même texte [qui] contient d’autres textes » précise Emmanuel Hocquard. Palimpseste. Où peut-être le détour par la traduction en langue anglaise, while absent, nous éclairera sur ce qui se joue au sein de l’image, cet « éclair [while] qui fend le vers et illumine par instants le paysage de mots qui précèdent et qui suivent » ; « précision de l’aube » au-delà de « la distance des jours », in fine « feu de la mémoire ».

Que faire dans cette lumière ? Peut-être ne jamais quitter ce bord de l’image.4




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Préface de Claude Royet-Journoud
cipM
« Hors collection »
14 planches et deux cahiers de 8 p., 50,00 €
couverture

1. Les dernières nouvelles de l’expédition sont datées du 15 février 17... ou Album d’images de la Villa Harris, aux éditions Hachette-P.O.L, p. 14. (Extrait cité par Jean-Michel Maulpoix dans son article en ligne, sur ce lien : http://www.maulpoix.net/decanter.html. Page consultée le 28 mars 2017.)

2. Claude Royet-Journoud, « À l’instant, les yeux fermés », préface à Comme un Orage.

3. Emmanuel Hocquard, « Re-Lire », postface à Comme un Orage.

4. Claude Royet-Journoud, « À l’instant, les yeux fermés », op. cit.