par Franck C. Yeznikian
La tonalité de cette cinquième main courante accentue en arêtes une forme d’essoufflement déjà propre au tracé mélancolique qui revisite dans une effluve d’encaustique ce cabinet infernal d’objets, de curiosités, de corps, de choses, investis alors dans l’écume du temps qui sera au fond toujours plus le sien que le nôtre. Selon ce corpus d’intérêts multiples, dont son œuvre d’essayiste atypique aux curseurs hyper-sensibles déploie l’envergure, se lit dorénavant une teneur de plus en plus trouée par l’invasion de ce que le présent impose ou décharge comme déflation aux valeurs disparaissantes du passé. Dès lors son journal de bord se retrouve d’autant plus accentué et lesté par le constat amer de ce qui n’est plus ou menace de le devenir ; tel devenir négatif. En toile de fond, l’écrivain dans son atelier nous invite en nous livrant maintes interrogations et dans la préparation infuse d’un ouvrage à venir portant plus précisément sur la question de la figure de la danse macabre. À travers celle-ci, Jean-Louis Schefer, ce descendant de Paul Valéry, mais plus proche de nous qu’un Barthes qu’il rencontre alors même qu’il n’a pas encore 20 ans, tente de traquer par un été plombant aux multiples nuisances, l’origine et l’expression de son apparition par-delà l’accoutumée peste noire de 1346 que les historiens collent à l’échine de cette danse tel un théâtre d’ombres réduisant son iconographie à cette seule cause providentiellement orchestrée comme punition tombée du ciel. Mais son œil va en deçà et au-delà des frontières papales au regard de cette allégorie du macabre. Il s’agit ici de tenter de le suivre, certes, dans les méandres des schismes qu’il piste à l’endroit des conciles qui désagrègent les prothèses d’un précaire concordat, mais aussi dans ce qui ouvre en même temps sur le conflit entre l’orient et l’occident dont la bataille de Lépante aura désigné à la fois la rupture consommée et l’embrayage d’une coalition conduisant à l’idée d’une Europe : La césure historique n’est pas la peste, ce sont les conciles qui sont tous des conciles de guerre. Leur théâtre détermine un point central de l’Europe, un point de gravité de la planète Europe.
La danse macabre procède dans ce livre non seulement comme sujet en digression mais elle embrasse organiquement, sinon inclut dans son mouvement, notre présent de telle sorte que l’on peut suivre la façon dont ses pas pointent les prémisses de ce qui aujourd’hui a commencé de se désintégrer. Mais cette danse touche aussi dans sa carrure aux entrées et sorties de celui qui l’observe, l’éprouve et consigne ici en sa main plaignante telle conformité d’un présent délétère et devant le cimetière des disparitions accentuant notre esseulement. Papiers gras, bal des pompiers, Nymphes déchues, en short ; le chapelet de la misère du jourd’hui ne peut hélas qu’empirer, proportionnellement à la quantité de savoir qui s’exprime dans la quantité de références acquises et ressassées devant la pellicule illusoire de nos arrêts sur image : mémoire figée. Bref, il y a aussi un caractère de liquidation devant l’effondrement des soutènements de l’usage de la langue dont Schefer souligne les flagrantes absurdités : et pourquoi donc mannequin, à ce moment-là, ne jouirait-il pas de son féminin ? Vie ou civilisation hyper-moderne où chaque jour draine tristement et imbécilement des réformes ou refontes que l’on y perd plus résolument son latin. C’est par conséquent bien une double danse macabre à laquelle nous assistons là et dont la chorégraphie vient se nourrir jusqu’au style dont l’homme commence, macabrement, à sérieusement songer, celle d’un anté-testament : que faire décidément de ma collection de cravates, fruit du temps, lubies, politesses ? On n’en porte plus. Une exposition dans une galerie d’avant-garde ? Il suffit de si peu de choses.