Emmanuel Hocquard : Les élégies

 
par Mathilde Azzopardi

Dans Cette histoire est la mienne1, on lit que l’élégie est un genre poétique sans forme ni longueur déterminées. À feuilleter ce volume2 rassemblant sept textes écrits de 1969 à 1989, on constate une évidente disparité : les mots et les blancs, tout aussi signifiants, se répartissent diversement au niveau du vers et dans l’espace de la page ; apparaissent deux listes ; apparaissent, également, des éléments de poésie visuelle – le dessin d’un palmier pour désigner un point cartographique, une alternance de points et d’espaces pour figurer une ligne de démarcation. On constate, en outre, des différences de longueur : notamment, entre l’élégie 1 III, qu’on peut citer entièrement 

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le moteur à un cylindre d’une barque dans le détroit

et l’élégie 7 II qui occupe cinq pages.
On lit que l’élégie, qui « se range dans la rubrique Poésie lyrique », est un poème autobiographique, souvent écrit à la première personne, qui parle du passé en exprimant de la mélancolie ou encore de la nostalgie. En « élégiaque inverse » (voir les points 6 à 9 de l’opus cité), Emmanuel Hocquard n’a recours ni aux images ou métaphores, ni à l’expression de sentiments : « l’idée / n’a d’existence que dans la chose matérielle » – « No ideas but in things » (W.C. Williams). L’autobiographie relève souvent de l’anecdote – « De ma fenêtre le matin, je voyais les collines en traduisant Lysias. / Tu fumais des Camel et conduisais toi-même une Nash vert eau » – ; les livres lus, par ailleurs, appartiennent au matériau autobiographique – « J’écris (…) Élégie 3 (où je m’identifie pour la dernière fois à Ovide) »3 : un « je » multiple, donc.

Pourquoi avoir recours à l’élégie ? Parce qu’écrivant des élégies, Emmanuel Hocquard en redéfinit les objets : le souvenir, par exemple, qui n’est pas du passé, mais du langage ouvrant une « piste au présent ». Et « le monde est un assemblage de lettres ». Parce que l’élégie est le lieu d’une enquête et que son élucidation permet à Emmanuel Hocquard de poser l’essentiel des jalons de son art poétique.




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Gallimard
« Poésie »
128 p., 6,20 €
couverture

1. Sous-titré « Petit dictionnaire autobiographique de l’élégie » ; repris dans Emmanuel Hocquard, ma haie, P.O.L, 2001, p. 461-466.

2. Initialement paru en 1990, aux éditions P.O.L.

3. « Vaut-il la peine de voir un ours blanc ? », ma haie, p. 137.