David Lespiau : Récupération du sommeil

 
par Alain Cressan

David Lespiau est un monteur, un assembleur : travail sur la citation, le cut-up, les jeux de répétitions, de références internes (Ouija board, ici, chez le même éditeur, explicitement), de reconstruction, de parallèles, de fragmentation et de versification… Si l’on perçoit, au fil des opus, des séries formelles et thématiques1, l’auteur considérant lui-même que son unité de travail est le livre2, Récupération du sommeil (me) semble offrir un espace de synthèse à cet ensemble.
Comme un feed-back : vérification, à un instant t., de la forme construite, dans une netteté pourtant kaléidoscopique et pulvérulente. Une image fugitive : « la cristallisation / des appréhensions intuitives / d’un projet s’en effondrant // du matériau // givre des sensations ». On retrouve ici beaucoup d’ingrédients de ses autres textes : une dimension à la fois très conceptuelle dans l’élaboration des croisements sémantiques et très corporelle dans l’imagerie utilisée, volontiers sexuelle, un certain humour dans la mise à distance, avec un discours sous-jacent, mais toujours en finesse, sur le poème en train de se faire, dans une polysémie du montage versifié. Un jeu de perspectives enchâssées, dans un scrolling textuel ‒ le mouvement du vers sous l’œil, remplacé par un autre, jouant sur plusieurs plans.
On voudrait raconter une lecture, son déroulement, mais la mise en place des éléments échoue : « (rotation infinie / du poème en instrument de pensée, pas de narration / (de pensée dans la narration)) ».
Chaque reprise apporte un nouveau champ, un nouvel angle de vue, un nouveau miroitement, et renvoie aussi aux autres livres de David Lespiau, y compris ceux auxquels on avait peu prêté attention, formant une sorte de « livre de livres », somme plutôt que série. « l’image traverse un corps transparent / coupé machinalement / réattribué sans ciller au paysage / des lignes agencées sans césure ».
Ce jeu de relations complexes, pourtant, n’enlève aucun plaisir à une lecture immédiate, parfaitement autonome, du volume. On est séduit très vite par la dextérité de la mise en place des vers, dans le désir de l’investigation, d’y revenir, de feuilleter : foisonnement dans le réveil des virtualités.




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Héros-Limite
96 p., 14,00 €
couverture

1. Nous avions, publié chez Argol, regroupe notamment une série de livres parus chez contrat maint. Poudre de la poudre, au Bleu du ciel, reprend une série entamée dans le premier numéro de la Revue de Littérature Générale, et semble appartenir à une autre série.

2. Voir cet entretien sur le site de D-fiction.