par Sébastien Goffinet
« 20 juin » : c’est ainsi que commence ce texte de Raphaëlle Bouvier, qui décline alors ce jour mémorable en 4 + 1 occurrences : 4 dates historiques (dont en 2-3 lignes, elle rappelle ce qui les fait telles : « 20 juin 1894 : Alexandre Yersin isole le bacille de la peste », par exemple) + la date qui se présente comme celle de l’écriture d’un « journal intime » : « 20 juin 2014 » développé sur 1 page et demie. 8 dates se succèdent jusqu’au 29 août 2014, organisées selon ce mode d’un choix parmi les dates anniversaires historiques suivi du journal intime de cette date. La dernière date, le 3 septembre, inverse le dispositif : l’intime précède l’historique.
Ce journal intime, en prose en prose, littéral, très gleizien (à la fois : « Je sais le goût des rivières. Et je n’ai pas peur de ça » et « Marseille […] la vraie vie ici, […] celle du monde qui pue et se bagarre pour continuer à avoir le droit de vivre, celle qui arrache sa liberté ») pourrait donner à penser que l’« histoire ratée » est celle d’un amour de la narratrice, n’était cette phrase consignée le 5 août 2014 : « je réécris l’histoire, pour essayer de comprendre à quel moment quelque chose est arrivé ».
Or réécrire l’histoire, c’est en dresser cette généalogie et ces rappels historiques où guerres, batailles ont une part déterminante. L’inversion du dispositif à la date du 3 septembre entraîne comme dernier mot du livre ce « cri unanime » de dix mille mercenaires grecs en – 401 : « Thalassa ». Cette mer, dont il n’est pas indifférent qu’elle se dise grecque aussi en 2014, se peut alors lire comme emblématisant celle dont s’extrayèrent, 440 millions d’années av. J.-C. les vies végétale et animale. Mêlant à l’instar de Le Vol des oiseaux de Jacques Teboul, l’intime à l’historique, l’histoire ratée est donc celle aussi de l’espèce humaine.
36 p., prix libre