par Gérard-Georges Lemaire
Kenneth Rexroth (1905-1982) est un écrivain assez singulier. Il a fait beaucoup de traductions, en particulier du français, de l’espagnol, du chinois et du japonais. Dans le cas spécifique de cet ouvrage, il a été publié comme la traduction d’une jeune poétesse du Japon qu’il aurait traduite. En réalité, c’est une pure invention ! Son anticonformisme assez poussé (ce qui l’a fait se rapprocher de la Beat Generation) et son goût de la provocation et de la révolte (il se réclame de l’anarchisme), sans oublier un penchant marqué pour l’érotisme qu’il a toujours affiché, offrent des explications à la production de ce « faux ». Il est clair, pour qui connaît un peu la littérature japonaise, que ces textes n’ont pu être écrits dans cette langue (il a publié ce recueil en 1978). Sa grande connaissance de la littérature d’Extrême-Orient lui a permis de pouvoir rendre crédible aux yeux de ses lecteurs pareille mystification. Ces poèmes n’en sont pas pour autant détestables. Au contraire. Ils ont même une tonalité profondément émouvante, car cette énigmatique Marichiko paraît s’adresser à lui, qui éprouve un vertigineux vide sentimental. Ce sont des poèmes d’amour, dans tous les sens du terme, du plus sensuel au plus spirituel, et ils représentent sans doute la quintessence de ce qu’il entend par éros. Le jeu entre la culture américaine et la culture nipponne manifeste son goût du voyage, qui a été pas mal entravé dans sa jeunesse, mais qui ne l’a plus quitté par la suite, surtout dans les termes de la création poétique.