Charles Reznikoff : Chacun son chemin – Seperate Ways

 
par Mathilde Azzopardi

« Nous avons choisi le sens / D’être en multitude. »
George Oppen

Œuvre-témoignage, brève mais d’une forte densité, façonnée à partir du terreau fertile du réel – tant ce que le poète a sous les yeux que l’Histoire –, Seperate Ways paraît en 1936 chez Objectivist Press1.
Charles Reznikoff vécut sa vie à New York qu’il arpenta inlassablement, « cheminant, observant ». Il grandit parmi les ouvriers ; fut, à l’occasion, vendeur dans le commerce de chapeaux de ses parents (qui apparaît dans le poème « Quartier des chapeliers »). Cette « poésie du trouvé »2 dit la ville dans ses mouvements – « dix mille milliers de pas / piétinent l’aube » et « les étoiles éclosent / dans le doux crépuscule » –, ses senteurs – « l’air pur des rues / délicieux après l’odeur de la marchandise » –, ses sons – « les roues des voitures sifflent / sur la chaussée humide »… Elle se fait, en outre, l’écho de la Guerre civile autrichienne de 1934 (« Les socialistes de Vienne »), des conséquences de la crise de 1929, évoquant les chômeurs et mendiants, dont elle capture des fragments de paroles (« Dépression »), comme elle restitue, par le truchement de la « négresse mourante », la langue disparue du Sud (« Nouvelle nation »), rallumant, écrivait Roubaud, « ces voix éteintes (…). Comme de petites lampes sur la carte des États-Unis. »
Partant du point de vue de l’anonyme – comme le fera plus tard la micro-histoire –, non sans une rigueur assurément éthique – « garde ton poste jusqu’à briser ton corps » (« Chacun son chemin »), et suivant des règles d’écriture strictes – clarté et précision pour l’efficacité du discours ; mise en vers pour la musicalité qui porte la part sensible du texte –, ce recueil passe, de poème en poème, du plus intime – la fragilité – à l’expression d’une histoire commune à tous. « Kaddish » appelle la paix, la sécurité, la subsistance, la vie « sur Israël et sur tous ceux qui rencontrent regards hostiles, bâtons, pierres, insultes » – prière finale, hommage aux minuscules qui habitent la poésie de Charles Reznikoff. Chacun valant l’humanité entière.




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Traduit de l’anglais par Eva Antonnikov
Héros-Limite
80 p., 12,00 €
couverture

1. Maison fondée en 1932 par G. Oppen, W. C. Williams, L. Zukofsky et C. Reznikoff lui-même.

2. Fiona MacMahon in « Le récitatif chez Charles Reznikoff, une chronique de l’intime », revue L’Ours blanc, automne 2014, p. 22.