Agnès Rouzier : dire, encore

 
par Christophe Stolowicki

Par à coups de parenthèses distribuées au pénultième hasard, intempestives à bout touchant, palpant, perlant, parlant, à brûle pour point, en aparté de secrets plaqués à toute face, Agnès Rouzier (1936-1981). Son martèlement stride à grands pas de silence, sur le pas, dans la passe, dans la nasse. Ses pics épileptiques à paliers de douceur, ses laisses verticales à rafales d’horizon. Sa syntaxe mallarméenne d’incoercible ajour, irréfutable de dé lire, tronçonnant la phrase comme un serpent à coups de hache, chute suspendue au harpon à cœur (« La difficulté est garante »). Comme seconde nature l’ellipse de floculation. La virgule à contretemps, contrechant. En elle tout en redites et redents et dents de scie, re dont danse de martèlement suspendu, les contraires trouvent un point d’orgue non d’accord, de croix non à la ligne. À mesures incantatoires, précautions ruineuses, au plus près de « regarder le soleil ou la tache aveugle » réinventé en genre le « nul part ». Dans « l’absence totale de concession du rêve » une écriture chauffée à blanc comme on tire à blanc à ballets rouges. Quand l’angoisse le désir indémêlables tournent à brisure de condition humaine (« Mais enfin. Mais enfin. / Mais enfin : cette expression revient toujours »), en reprises, repousses, variations inlassables, lacées gordiennes, de lyrisme exact, une écriture au long cours commande un volume, une dramaturgie prend ses marques. Mots héros, jonchés au chant d’horreur.

Elle n’est pas une pure méconnue. Si dire, encore reprend des textes la plupart posthumes1, Non, rien paru en 19742 a connu une brève éclosion en vitrines. Contraste saisissant entre la densité, la rigueur, la puissance qui l’égalent aux plus grands et sa modestie de paradoxale étudiante (« Je reste persuadée que je ne comprends pas ») devenue ce thyrse caducée d’inguérissable amour qui s’entrelace à Rilke, Kafka, Mandelstam. Lectrice fanatique de Barthes, Blanchot, implacable Antigone honorant d’une brûlante poussière ses morts illustres, il lui « déplaît [de] ne pouvoir être véridique que dans l’exaltation ». Le cilice (si lisse, si heurté) porté à même la peau des mots.




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Brûlepourpoint
176 p., 15,00 €
couverture

1. Lettres à un écrivain mort, Sérénité / Petite maison, À haute voix, La folie, Journal (commençant en juin 1977, fin non datée) rassemblés dans Le fait même d’écrire, Change / Seghers 1985, que conclut un poème paru dans Le Monde du 19 avril 1982.

2. Chez Seghers / Laffont, « Change », réédité par Brûlepourpoint en 2015.