Laurine Rousselet : Syrie, ce proche ailleurs

 
par Michel Ménaché

Le désastre humain qui perdure en Syrie depuis le soulèvement populaire de 2011 contre la dictature de Bachar Al-Assad semble s’éterniser, sinon dans l’indifférence d’une Europe soucieuse de préserver ses acquis et ses équilibres déficients, du moins dans son application à contenir, à distance de ses côtes et de ses frontières, ce brûlot géopolitique et le déchaînement de barbarie qu’il a généré. Laurine Rousselet, « étrangère au cœur syrien », s’est lancée dans une démarche audacieuse en rédigeant un essai qui est aussi un long texte en prose, tenant à la fois de la chronique événementielle et de la méditation poétique, sur cette tragédie humaine aussi meurtrière que dévastatrice (Palmyre, Alep et le musée irakien de Mossoul à tout jamais ravagés par des vandales réfractaires à toute culture autre…).
De la tyrannie au fanatisme religieux, l’opposition démocratique a été broyée par les factions rivales et les alliances contre nature ; « La carte de la Syrie est imbibée de sang ». Pour l’auteur, « le défi est de sortir la voix du tombeau. » La nostalgie du califat a grossi les rangs de Daech d’une proportion importante de non Syriens qui prétendent mener la guerre sainte sur le mode de l’hystérie, destructrice de tout ce qui s’écarte du dogme millénaire instrumentalisé. Laurine Rousselet leur répond d’un aphorisme tranchant : « À force d’admirer Dieu, l’homme est devenu son effigie de boue. » Ainsi les Kurdes, seule faction à respecter le droit et l’égalité des femmes, sont pris entre deux feux et leur sacrifice est insupportable. Quand la terre des hommes est suppliciée au nom d’une vérité unique fondée sur une autorité mythique, il n’y a plus que la déraison de vivre ou de mourir : « Toutes les certitudes sont coupables. Le visage du criminel n’abandonne jamais son intention du lendemain. Il implante dans la terreur la mobilité de l’enfer. » Derrière le dogme religieux se cachent des conflits d’intérêts dans lesquels les puissances internationales jouent un jeu trouble. La corruption et la spéculation mènent cette danse macabre de l’or noir dans le sillage des gazoducs, iraniens et qatari. Le gaz doit passer par le chemin de la foi qui croise celui de la bourse ! Les uns suivent l’axe chiite, les autres l’axe sunnite : « Le peuple syrien hérite donc de cette consommation de la mort [...] L’histoire s’épanouit dans la terreur. »
Ce livre généreux n’est pas fait de bons sentiments. Le poème et la réflexion sont ici indissociables et le pari était fort difficile à tenir. Le réquisitoire s’appuie sur la force des mots et la puissance des images : « La bravoure du monde est pure fiction dès lors qu’elle porte le goût du sang. Son sort s’entretient avec la réalité du carnage. Justifier son existence, c’est refuser un pas de danse avec le balbutiement de l’aurore. » Syrie, ce proche ailleurs est enfin et surtout un témoignage bouleversant d’amour pour ce pays meurtri, défiguré par les haines suicidaires…




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Essai-Poésie
L’Harmattan
« Créations au féminin »
104 p., 12,50 €
couverture