par Jean-Charles Depaule
Ce petit livre est précieux. Il reproduit en fac-similé un des rares manuscrits que Mahmoud Darwich (1942-2008) n’ait pas détruits : les 26 feuillets de sa réponse aux questions d’une jeune journaliste libanaise, Ivana Marchalian, pour l’hebdomadaire Addawliyya. « Pourquoi la poésie ? Parce qu’elle me permet de dire et de faire ce que je ne peux dire ni faire autrement ». Dans une langue tantôt abrupte, tantôt foisonnante, et avec son usage précis des images, il revient aussi sur l’enfance, la mère (son ironie, son amour), l’exil, Beyrouth : « les dix ans passés à Beyrouth auraient dû me permettre d’exprimer davantage mon amour profond pour cette ville ». Rita ? « Rita n’est pas le prénom d’une femme en particulier. C’est le nom poétique que je donne à l’amour en temps de guerre ». La mort ? « Mais la mort c’est la mort ». Il évoque, bien sûr, les Palestiniens. Il avait affirmé : « Il n’est d’autre identité que celles des tentes ». Il précise : « Ma tente n’est pas empruntée à la structure de la poésie arabe classique », elle dit « la misère de mon peuple ».
Ivana Marchalian a accompagné les réponses rédigées par Darwich d’une brève chronique de leur rencontre, qu’elle a décidé de publier après sa mort. Le poète avait consenti à un entretien en dépit de sa résolution de ne plus en accorder, mais il semble se dérober. La journaliste sait accéder à lui, aussitôt il la nomme « Ivana la terrible », il la reçoit à plusieurs reprises autour de Noël 1991, entre eux s’engage, tissée de confidences, une dispute vive, délicate, enjouée et grave. Darwich lui dit : « N’oubliez pas les deux obsessions que sont la langue et l’écriture ». Dans ces pages on le voit, à Paris où il réside alors, se mouvoir dans son appartement, dans son quartier et regarder la ville. Il prépare le café, dont l’odeur est « une géographie » – il faut prendre son temps et surtout ne pas verser la poudre dans l’eau froide, « la pire manière ». Le moment rituel du café scande ses journées. « Mais avant tout c’est mon premier pas vers ma propre vie. […]. Voulez-vous une tasse de café ? » écrit-il à l’intention de la visiteuse.