Antonin Artaud : Lettres 1937-1943 / Cahier Artaud

 
par Francis Cohen

j’ai un corps qui subit le monde, et dégorge la réalité

ET L’IMAGE DE LA FOLIE DU MONDE S’EST INCARNÉE DANS UN
TORTURÉ

Antonin Artaud

 

La plupart des lettres publiées dans ce volume sont inédites. De nombreuses lettres retenues par les administrations asilaires, celles au Dr Léon Fouks et des lettres retenues par lui, mais adressées à d’autres correspondants sont donc maintenant lisibles grâce à cette édition.
Le 30 septembre 1937, Antonin Artaud, expulsé d’Irlande, est, aussitôt arrivé au Havre, transféré à l’asile de Sotteville-les Rouen, le 1er avril 1938 il est interné à Sainte-Anne puis à l’asile de Ville-Évrard où il restera jusqu’en janvier 1943. Ces lettres, souvent délirantes, témoignent des souffrances, des privations dont fut victime Antonin Artaud, il accuse les « initiés » de le persécuter, d’être responsables de ses internements, il accuse, par exemple le Dr Lacan « qui est l’homme à tout faire des Initiés, mais qui pour les non-Initiés est un psychanalyste mondain. » Dans une lettre à Roger Karl du 1er mars 1939, il insiste sur les brutalités dont il est victime à Sainte-Anne et accuse l’administration « de disposer de [lui] comme d’un colis, QUI N’A PAS LA PAROLE. » Antonin Artaud ne cesse, à longueur de lettres, de réclamer de l’héroïne et des paquets de cigarettes indispensables pour conjurer ses délires. L’absence de drogue est un enfermement dans l’enfermement.

Fin 1936, Antonin Artaud revient du Mexique, en août 1937, il part en Irlande sur les îles d’Aran « à la recherche de la dernière descendance authentique des Druides. » Il entre le 30 septembre 1937 au service psychiatrique de l’hôpital du Havre. Antonin Artaud est déclaré « atteint de la manie de la persécution et a des crises d’hallucinations. »

Pourquoi est-il parti en Irlande ?

Un ami lui a offert une canne, c’est la canne de saint Patrick, le patron des Irlandais :
« Une canne avec 13 nœuds et que cette canne porte au 9e nœud le signe magique de la foudre. »1
« Cette canne a 200 millions de fibres, et elle est incrustée de signes magiques, représentant des forces morales et une symbolique anténatale qui est d’ailleurs à reprendre, parce qu’elle empêchait le principe de la canne, du bâton foudroyant en soi […] Quoi qu’il en soit, je ne me suis servi de cette canne en Irlande que pour imposer le silence à tous les aboyeurs ».2

Entre le Mexique et l’Irlande, Antonin Artaud a vécu le roman vrai du feu et de la foudre, des serpents et de la canne.

Dans les cahiers Artaud, Jonathan Pollock dresse le « portrait d’Artaud en philosophe cynique » et établit un parallèle entre la canne et le bâton du philosophe cynique.

Entre 1937 et 1946, année où il sort de l’asile de Rodez, la canne ne l’a pas protégé, « elle ne valait rien comme moyen de défense. »3

Arno Bertina, marque un parallèle entre la conférence qu’Aby Warburg donne à la clinique de Kreuzlingen en 1923 sur le rituel du serpent chez les indiens Hopis et « sa jumelle », « Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras », grâce à ce texte et quelques autres, le docteur Ferdière fera sortir Antonin Artaud de l’asile de Rodez, tout comme Warburg put sortir de la clinique grâce à sa conférence. Mais face à la conférence d’Aby Warburg, il faudrait lire Les Nouvelles Révélations de l’Être, qui annoncent à partir du 3 juin 1937 une « transmutation révoltante » du monde « PARCE QUE, LE 3 JUIN 1937, LES CINQ SERPENTS SONT APPARUS QUI ÉTAIENT DÉJÀ DANS L’ÉPÉE DONT LA FORCE DE DÉCISION EST REPRÉSENTÉE PAR UNE CANNE. »4
Antonin Artaud est interné en 1937, ces chiffres de 1937 font l’objet d’une analyse Kabbalistique dans Les Nouvelles Révélations de l’Être : 1937 donne 2 « qui d’après la kabbale est le chiffre de la Séparation-Destruction. »5




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Lettres 1937-1943
Gallimard
496 p., 29, 90 €
couverture
Cahier Artaud
N° 2
Éditions les Cahiers
304 p., 29,00 €
couverture

1. Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être dans Œuvres Complètes, t. VII, Gallimard, 1982, p. 131.

2. Antonin Artaud, OC, t. IX, 1979. p. 177.

3. Ibid.

4. Antonin Artaud OC, t. VII, p. 131.

5. Ibid, p. 133.