par Monique Petillon
Depuis Petits poèmes en fraude (Gallimard, 1980), Richard Rognet compose une poésie à la grâce furtive, nourrie de réminiscences de Verlaine et d’Eluard. Ce sont des tristesses murmurées dans des formes brèves et fluides. C’est une harmonie inquiète dont témoignent les titres – Recours à l’abandon (1992) ou Dérive du voyageur (2003). Un doute plus violent récuse parfois le « fatal équilibre » du poème, sa séduction illusoire – dans Seigneur vocabulaire (La Différence, 1998).
Dans ses deux recueils les plus récents (2012 et 2014), repris dans la collection Poésie / Gallimard, Richard Rognet revient à un lyrisme élégiaque. En exergue sont salués le Francis Jammes du Deuil des primevères, mais aussi Robert Walser et Fernando Pessoa.
Entre ombre et lumière, alternent la douceur des « rêves inachevés » et le choc des « lettres / dérangées d’un alphabet meurtri qui s’effondre ».
Élégies pour le temps de vivre (2012) rassemble des poèmes inscrits dans le paysage des Vosges, dont Richard Rognet est originaire. Tous ont été écrits à Dommartin-lès-Remiremont, où sa mère était institutrice et son père garde-champêtre, non loin de l’école, et de la petite ferme de l’aïeule, désormais désertée…
Le tutoiement, le questionnement incessant, les reprises donnent forme aux souvenirs les plus anciens: « et avec lui, l’enfant, désapprendre / qui je suis, chercher dans la soudaineté / d’une ombre la vibration des regards / perdus ». C’est le temps du deuil, de l’évocation des proches disparus – parents, amis. « Je suis / comme mon père, aux lisières du monde, jamais, je n’oublierai ses regards / un peu flous qui caressaient les choses / ni ses trop longs silences ». La mélancolie se nourrit des « longs regrets » de ce qui demeure inaccompli. La mort est évoquée, non sans douceur : « Je sais que mourir est un passage / à peine plus troublant que celui / de naître et que le ciel se couche / au pied du lit de celui qui s’en va ». Mais la présence de la nature – neige, brume, merle, campanules – est à l’origine d’un regain que souligne, paradoxalement, le titre : Élégies pour le temps de vivre. « Ce qui / manque à ma vie je l’oublie en marchant ».
La deuxième partie du volume, Dans les méandres des saisons (2014), se clôt sur un obituaire : 33 poèmes (souvent des sonnets) dédiés à la mort, survenue un 9 octobre, d’une mère qui aimait nommer les plantes. « Comment prononcer maintenant silène, / tussilage, bistorte, cardamine ? » : des noms que doit reconquérir la voix du poète, les dérobant « sans / crainte au poids du souvenir ».
Un livre d’artiste, Libre lumière, paraît également en 2015 aux éditions Le petit Flou.