Philippe Blanchon : Motets

 
par Philippe Di Meo

564 pages nous permettent de faire le point sur l’œuvre d’un poète (né en 1967) vraisemblablement au milieu du chemin de sa vie. Soient : quatre recueils, dont le dernier seul est inédit.
Comment définir cet opus à l’évidence encore promis à de nombreux développements ? D’abord comme une unité et une continuité revendiquées en sourdine mais avec force. Celle d’un roman en vers toujours en gestation et toujours recommencé, qu’un Umberto Saba1 eût immédiatement reconnu. De fait, la narration d’une vie selon les lois sinueuses de son incontournable polyphonie occupe le devant de la scène. Mais là où le Triestin est spontanément sentimental, le Français est d’instinct elliptique.
Ce parti pris de narrativité se laisse semble-t-il justement déchiffrer comme garde-fou contre une dérive lyrique non maîtrisable, comme chez tant d’autres poètes de la tradition moderne, de Pound à Zanzotto2 par exemple. C’est comme si la subjectivité était dévolue à l’itération des mots, des lieux et des moments selon un rigodon bien compris et assumé de bout en bout.
Le roman en vers est réfracté par des personnages reconduits à des traits schématiques, allusifs, pour donner dans un épos d’un type nouveau. Nous n’avons plus affaire au chant choral impersonnel d’une nation ou d’un groupe, mais d’un épos reconduit à une échelle minimaliste, celui d’un individu « sans qualités » dans la grisaille et la lumière des jours, une sorte d’Hebdomeros3, évidemment plus mobile. Un épos anti-épique d’allure souvent diaristique, donc, laissant paradoxalement transsuder une subjectivité au travers d’une objectivité de la notation. Dans son étrangeté, tel est « le regard nu attendant de naître » évoqué par le poète.
Une bonne part du discours poétique tourne autour d’une notion – à expliciter de façon approfondie dans un autre lieu – de « distance ». Ce que Blanchon désigne comme le « champ de toute la distance » est peut-être le centre de sa poétique, d’une poétique et d’une poésie se parlant constamment à elles-mêmes pour étendre leur langage sans afféteries décorativement transgressives. Est ainsi redonnée aux choses leur netteté et le mystère de leur « distance ».




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La Nerthe
564 p., 40,00 €
couverture

1. Umberto Saba, Il canzoniere. Autre parenté littéraire, nous pourrions également évoquer l’épos familial d’Attilio Bertolucci : La chambre, Roman familial en vers, traduit et préfacé par Muriel Gallot, Verdier.

2. Philippe Blanchon est un éditeur, un traducteur, de Joyce notamment, et un critique. Il a récemment donné un magnifique essai sur Phosphènes d’Andrea Zanzotto dans Nu(e) numéro 58, par exemple.

3. Cf. Giorgio De Chirico, Hebdomeros, Flammarion, 1964.