Kenneth Goldsmith : Théorie

 
par Nicolas Tardy

Kenneth Goldsmith, trop souvent réduit à son rôle de fondateur du site Ubu Web, défend et pratique une poésie conceptuelle, qu’il rapproche de la poésie concrète de par sa dimension transnationale et qu’il nomme écriture non créative. Cette appellation déceptive recouvre une forme de création se voulant en rupture, non-expressionniste, donnant une autre approche de la lecture par l’appropriation, la recontextualisation. Manière de procéder qui fait écho, chez les français, aux travaux de Jean-Michel Espitallier, Jean-Marc Baillieu, Anne-James Chaton, Bernard Heidsieck, Sylvain Courtoux… Chez Goldsmith, cela va jusqu’à citer des auteurs sans les nommer pour s’approprier leurs discours (John Cage, David Antin…). Parfois, cependant, il les nomme, révélant ainsi sa filiation (Lautréamont, Mallarmé, Duchamp, Stein, Cage, Warhol…). Il théorise sa pratique, dans un esprit proche de Ma philosophie de A à B et vice versa de Warhol, dans cette rame de papier machine (imprimée d’un seul côté) dont il faut découper / déchirer l’emballage pour pouvoir accéder au contenu. C’est un objet éditorial, extrêmement pertinent dans l’interrogation de notre rapport à l’écrit, la manipulation d’une rame de papier et l’impression via une imprimante faisant tellement partie de la vie de nombre d’entre nous. Il y présente, outre des citations, des souvenirs de rencontres marquantes (par exemple avec le poète visuel David Daniels, pionner dans l’utilisation du traitement de texte), des réflexions (qui tournent principalement autour des notions de copyright). Le ton est parfois péremptoire, la fascination pour le star système un peu trop présente, le nihilisme parfois un peu trop premier degré. Mais la dernière phrase de la dernière feuille est « Mais en vrai, ne me prenez pas au mot », tempérant ainsi ce qui pourrait paraître comme trop dogmatique, nous incitant à être critique envers ses mots comme il l’est avec l’ensemble des flux textuels en circulation.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Traduit de l’anglais (USA) par Léa Faust
Jean Boîte Éditions
500 feuilles, 24,00 €
couverture