Affaire de leurre ou propriété, la couleur est une notion dont les enjeux philosophiques sont notoires. À travers les couleurs et la syntaxe de leur langage, il s’agit pour Emmanuel Hocquard, tout comme pour Wittgenstein, d’observer et de décrire des phénomènes linguistiques, d’élucider les logiques de notre langage, de cartographier leurs connexions, de déployer les conditions de sens d’un énoncé plus que de chercher des vérités ou des explications. Emmanuel Hocquard constate de près, vérifie dans la pratique comment notre expérience immédiate (empirique) de lecture et d’écriture s’articule, montre dans quelle mesure elle n’existe pas en dehors de nos concepts linguistiques et des structures faites de relations logiques. Un espace noétique est alors difficilement envisageable car l’enjeu majeur réside dans la description d’un fonctionnement systémique, syntaxique et grammatical, voire dans ce que Wittgenstein appelle des « jeux de langage ». Autrement dit, une phénoménologie se pense ici comme une articulation de formes logiques (« Il n’y a certes pas de phénoménologie, mais il y a bel et bien des problèmes phénoménologiques », Remarques sur les couleurs, I, §53 et III, §248), comme un système dont il faut comprendre les règles et les définitions d’usage. Dans cette perspective où le sens dépend de la syntaxe du langage plus que d’une saisie physique ou psychologique, l’expérience des logiques de ce langage s’apparente à une grammaire (« L’essence est exprimée par la grammaire », Investigations philosophiques, I, §371). Et si dans The Big Typescript Wittgenstein remplace le mot ‘logique’ par le mot ‘grammaire’, Hocquard semble lui faire écho en greffant dans ses pages l’élaboration d’une grammaire comme un ensemble d’opérations pratiques telles l’« addition », la « division », la « multiplication » (p. 6), avec tout ce que cela entraîne en termes de tautologie et littéralité (« Tautologie & littéralité », p. 4).