par Heike Fiedler
Deux livres au tempo récit, documentaire, poésie. Dire à partir d’observations, de témoignages et d’archives. Énoncer les faits qui constituent le monde, dans Katrina, au fil des déplacements, dans Résolution des faits selon l’agencement d’une soixantaine de phrases numérotées. Dans les deux cas, l’écriture rappelle la poésie concrète en ce qui concerne l’emploi des listes, la poésie conceptuelle quant aux mots trouvés : des ready-mades de langue, sans omettre la voix de l’auteur qui mêle habilement objectivité et subjectivité, car quoi que l’on fasse : « L’air n’est pas neutre ». Frank Smith scrute le présent, donne à voir ce qui se soustrait à la lumière. L’écriture en guise d’éclairage pour rendre les images plus nettes, plus visibles. « Écrire n’est pas représenter », écrire c’est enregistrer les fragments de réalité. Katrina retrace le vécu d’une communauté d’Amérindiens sur l’Isle de Jean Charles aux confins de Louisiane, terre menacée par l’effet d’érosion côtière. Résolution des faits oscille entre deux écritures horizontales et verticales. En verticale, la liste de mots des débuts de phrases des nombreuses résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité : les mots toujours les mêmes pour des conflits toujours différents. Répétitions désolantes. Les lignes horizontales traversent les pages en vol d’avion, sans idéologie : « l’avion perce dedans ». Les réflexions sur l’image rappellent Deleuze, le vent rappelle le mouvement. Dans les deux livres, un ton qui frôle la désolation. Comment faire autrement ? L’auteur réaffirme le caractère politique de sa démarche face au monde en déclin. « Tu considères, mais sans plus ». Toutefois, les mots, ancrés dans le maintenant, relancent, engagent, confrontent la résignation. Chacun des livres se termine avec un regard en avant, vers une ouverture : « Parfois un terrain vague ouvert par le soleil », « Un vœux toujours : durer dans l’ouvert ». Évidemment, tout commence aussi par-là : ouvrir ces livres – un geste hautement recommandé.