par Charles Dreyfus
Le 5 février 2016 Le Cabaret Voltaire d’Hugo Ball et Emmy Hennings aura cent ans. « Barbare auto stylé » au rire perce neige, Tristan Tzara débarque à Zurich.
Il a quitté Bucarest en symboliste et consulte à la bibliothèque la transcription des chants négro-africains dans la langue du missionnaire qui les a recueillis. Grâce, entre autres, à ce matériau à la fois très nouveau et très ancien il parvient à se hisser rapidement à la tête de ce qui deviendra le mouvement Dada.
« Je dors très tard. Je me suicide à 65%. J’ai la vie très bon marché, elle n’est pour moi que 30% de la vie. Ma vie a 30%. Il lui manque les bras, des ficelles et quelques boutons ». Les premières manifestations Dada au Cabaret Voltaire comme une affaire de famille, pour Tzara, en compagnie des frères Janco, des frères Arp et de leurs compagnes respectives. Il s’agissait moins, dit rétrospectivement Tzara, de détruire l’art que d’en surmonter les limites de tous ordres. Les masques en carton de Marcel Janco datant de 1919 signent la fin de la période zurichoise.
Dans ce type de monstration, le catalogue ne peut que se marier de la façon la plus harmonieuse qui soit avec l’exposition elle-même. C’est le cas ici pour Tzara, personnage aux multiples facettes, né le 16 avril 1896 jour de la saint Dada dans le calendrier Julien.
À la salle consacrée au Symbolisme roumain (alors qu’il s’appelle Samuel Rosenstock et qu’il signe ses premiers poèmes en roumain sous le pseudonyme S. Samyro) font écho Le premier Tzara d’Eugen Simion, et au réalisme d’un homme dans l’histoire Tristan Tzara et l’avant-garde roumaine : « Il n’y a pas d’engagement du poète envers qui que ce soit » d’Ion Pop.
À partir de 1920 à Paris Tzara poursuit l’aventure Dada. On connaît mieux ses chassés-croisés avec André Breton, et le Parti communiste. Comment faire la part des choses entre poésie engagée, poésie de circonstance et lycanthropie lorsque l’état d’esprit reste constant : « Je considère la poésie comme le seul état de vérité immédiate » (in Integral n°12, 1927 où il exprime tout à la fois son hostilité au surréalisme et son refus du marxisme).
Cette exposition fait revivre Tzara – en plus bien évidemment du poète, dramaturge, écrivain d’art – dans les collections de la Bibliothèque Jacques Doucet (sa collaboration avec pratiquement tous les grands artistes du siècle dernier), Tzara collectionneur des arts africains et océaniens… Tzara stratège. Un exemple parlant alors qu’il est le fil rouge du photogramme à travers l’Europe. En 1919 il fait découvrir Christian Schad, puis en 1922 choisit Man Ray contre Schad. En 1936 pour la première exposition de grande envergure au Museum of Modern Art à New York Fantastic Art, Dada, Surrealism s’apercevant que Man Ray est étiqueté comme surréaliste, il ressort des « schadographies » qu’il avait conservées, contre le gré de son créateur, en les antidatant de 1918. Tous les moyens sont bons pour que Dada prenne l’incommensurable place qui lui revient.
Exposition du 24 septembre 2015 au 17 janvier 2016
Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg
358 p., 35,00 €