Roja Chamankar : Je ressemble à une chambre noire

 
par Michel Ménaché

Roja Chamankar, jeune réalisatrice de cinéma, est aussi reconnue comme une grande voix de la poésie iranienne d’aujourd’hui. Le titre de son dernier recueil, Je ressemble à une chambre noire, dit d’emblée son refus du destin dicté aux femmes depuis que la Révolution islamique leur impose l’invisibilité et le silence. Mais ce refus ne s’exprime ni dans le cri, ni dans la vindicte ; Roja Chamankar écrit le plus souvent mezza voce. Son lyrisme est intime, teinté d’ironie. Elle conjugue la tendresse et l’amour, conjurant tous les démons du malheur. Le choix des poèmes réunis dans cette anthologie est tiré de trois ensembles : Les pierres de neuf mois, Mourir dans la langue maternelle, Marcher sur le fil. Comme dans un conte, le regard insistant d’une gitane a déterminé son destin : « C’est pour tes yeux que je suis devenue poète. » Les mots comme les mains opèrent des métamorphoses ludiques : « Le prophète créé de mes propres mains / Est à présent / Un grand démon. » L’amour surtout infuse sa magie dans chaque geste vers l’aimé : « Tous les chemins me sont fermés / J’escalade tes paupières / Ne ferme pas les yeux ! » Ou encore, infiniment sensuelle dans la fusion en miroir : « Je cache des mots / Dans ton étreinte / Dorénavant / Tout le monde peut lire mes poèmes / En toi. » Le don de poésie chez elle est aussi total que le partage amoureux : «  J’écris / Jusqu’à ce que tu tombes en pluie / Des lignes de mon corps / Et tu deviens poème, mon commencement. » Enfin, poète et femme, elle n’est pas disposée à se soumettre à la tyrannie de lois iniques. L’affirmation féministe de ce recueil n’en est-elle pas le point d’orgue énigmatique ? L’anaphore victimaire le martèle avec insistance : « Je ressemble à une chambre noire […] À nous / Les gants noirs et silencieux / À nous / Les mensonges faciles / À nous / Les exécutions en masse / À nous / La patrie en déroute / À nous / Les manches de couteaux / On te rumine avec délectation / Et demain on te dissèque // Tu sais / Ô combien le goût de l’eau est amer. »
Un livre des blessures, retourné en lueurs ardentes d’aspiration au bonheur.




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Traduit du persan (Iran) par Farideh Rava
Édition bilingue
Bruno Doucey
120 p., 15,00 €
couverture