par Chandramukhi
Commençons par le plus important, il faut lire les deux livres, la version anglaise et la version française traduite par Stéphane Bouquet. Ce livre étant paru en France en première édition dans ces deux versions. L’ensemble est remarquable. Je ne sais plus si c’est Tori Amos dans « Precious Thing » qui chantait qu’elle ne voulait plus être une sweet good girl. Souvent je me trompe de souvenir et me souviens mal. En fait Amos, surtout dans cette chanson, utilise sa voix comme un jeu de théâtre où passent des petites voix et des cris et, en live, il y a ces variations inquiétantes de son thème répété au piano et batterie, tout en syncope. C’est Björk et son « Hunter » qui est citée par l’auteur dès le début, mais c’est à Amos que j’ai pensé tout du long. Tout doit disparaître. D’un côté. Tout mettre en poésie. Quoi qu’il arrive. Ce que l’on retient, ce qui me retient. Les joies les colères les coups de blues les moments faibles les moments improvisés les trucs de dingue les folies douces. La poésie comme plaque sensible, bloc-notes, sensations et pensées à la volée. Il y a un côté film. On pense à du Lelouch, un personnage autour de qui gravite le monde, un film comme une vaste invitation pour le monde entier. Avec la durée de l’écriture de ce recueil, l’apparente simplicité du ton, on pense aussi à « Boyhood » de 2014. Où le personnage, en 2h, vieillit vraiment sous nos yeux de 6 à 18 ans, avec le reste de son monde. Le film ayant été tourné sur une période de 12 ans avec les mêmes acteurs. Un mélange de time-lapse et d’album vivant. Dans Autre Archère, il n’y a pas de bons mots ou de choses spectaculaires, mais un ton, une respiration qui s’installent. On est témoin jamais voyeur. On sent les saisons défiler. Les années. L’arrivée de sa fille, les premiers mots, les premiers pas. Attraper au vol. Arpenter les rêves. Apprendre à marcher, à lire, à tomber, à en rire. Chanter. Son attention aux petites choses. Sa générosité et son intelligence sensuelle. Son attitude face à la vie. Sa manière d’utiliser l’écriture sans faire de l’écriture. Sa manière très libre, très directe d’aborder tout ce qui arrive. Sa confiance à pouvoir tout dire. Son talent à en faire des poèmes. Très ouverts. La mode mondiale est au selfie et désormais on en fait des expositions huppées, ainsi le monde se donne à voir par lui-même. Lee Ann Brown parle d’elle, mais rien de narcissique, elle partage. Passer par le filtre unique de Lee Ann, c’est aussi traverser mille émotions. 1-2-3. L’arrivée de l’enfant me fait revenir à moi. Soleil ! Christophe Lamiot Enos a permis au travers de sa collection « To » de nous offrir ces livres. N’hésitez pas. Au départ, ce fut mon cas, j’ai pensé, ce genre de textes ce n’est pas pour moi et puis j’ai été conquise. Et j’ai pensé à Amos, à Björk et aussi à cette phrase pour expliquer ce qu’est un collectionneur d’art contemporain : « Le collectionneur achète ce qu’il n’aime pas encore ». Donc aimez être surpris et lisez-la en anglais et en français.
Traduit de l’anglais par Stéphane Bouquet, avec une postface de Christophe Lamiot Enos
PUHR « To »
208 p, 17,00 €