Hart Crane : L’Œuvre poétique

 
par Agnès Baillieu

Le volume bilingue offre, outre Bâtiments blancs et Le Pont, Key West, recueil posthume, et un choix précieux de vingt poèmes non recueillis ou inachevés, parmi lesquels « La tour brisée », œuvre en quelque sorte testamentaire. Finalement, tout est affaire de temps ici. Le temps passé : lecteur de Whitman, de T.S. Eliot et de Proust, c’est Rimbaud que Hart Crane dit « le dernier grand poète que notre civilisation aura vu ». Le temps vécu : Hart Crane (1899-1932) est victime de sa légende – échecs, instabilité, imprécations, rixes, suicide (après celui en 1929 du poète Harry Crosby, qui fut son éditeur), pour beaucoup et un peu vite un de ces « jeunes hommes tristes », génération perdue des années vingt. L’introduction le rappelle : « … que sommes-nous, sinon ce texte erroné, cette peau couturée de pensées lâches, “fac-similé de temps” que nous finissons par endosser ? » Le temps de la lecture : autre légende, l’obscurité de Hart Crane, à laquelle le traducteur règle son compte dans les pages d’introduction – certes « le vers achevé ressemble à un hiéroglyphe », mais il ne faut pas confondre obscurité et « zones d’ombre ». Qu’il s’agisse de la fin de l’empire aztèque, de Cuba, de soi et de l’horreur de soi, des autres et de leurs apparitions, au bord du gouffre du temps, la poésie telle que la conçoit Hart Crane est bien « la preuve concrète de l’expérience de la reconnaissance ». Le traducteur embrasse son œuvre avec une grande finesse, il la comprend, la (re)connaît. On lui saura gré des éclaircissements prodigués dans la biographie et dans les notes (tous n’étaient peut-être pas indispensables…). On lui saura gré, surtout, de traduire en poète, par exemple de traduire en vers rimés les vers rimés de l’original : « The morning glory, climbing the morning long / Over the lintel on its wiry vine, / Closes before the dusk, furls in its song / As I close mine… » ; « La gloire-du-matin qui se hisse tout au long / Du matin sur sa vrille sinueuse au linteau, / Se clôt avant le soir, se plie dans sa chanson / Comme la mienne se clôt… » (« Indiana », p. 148-149).




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Traduit de l’américain par Hoa Hôï Vuong
Arfuyen
« Neige »
378 p., 23,00 €
couverture