Michèle Finck : La Troisième main

 
par Christian Travaux

Le texte est à trois voix. La musique, toujours notée, avec nom du compositeur, titre de l’œuvre, chef d’orchestre ou instrumentiste et formation. Puis les paroles, dites ou chantées, en d’autres langues que le texte. Enfin, le texte : La Troisième Main, comme un air pianoté autour, écrit après ou à partir. Cent poèmes en sept sections pour réagir à la musique, être musique. Écrits de façon singulière, dans le noir d’une cécité momentanée, juste à l’écoute, après s’être fait opérer de cataracte.
L’exercice est bien connu. On fait silence. On écoute de la musique. Et on écrit ce qui survient : sons, bruits, pensées remuées dedans l’intérieur, images et voix anciennes qui vont parlant, vont remontant. Puis le néant, parfois. La limite du son, où vient se heurter la musique, tenter d’entrer. Faire frémir. Ou éjaculer. Faire bruire le corps. Le sentir – sous la musique, les coups de boutoir qu’elle lance – s’ouvrir et jouir. Frissonner. Exister encore, quand on est réduit au silence, à l’obscur, au noir, à l’ombre. Ainsi, ici, c’est le noir l’état premier, les ténèbres, l’obscur ou l’ombre, qui imposent d’être à l’écoute de soi. C’est le vide du regard, son silence, qui fixe l’ouïe. Et fait que se mettre à écrire, c’est noter ce que l’oreille voit dans les ténèbres.
La musique, dans ce cas-là, pour Michèle Finck, est questionnement du silence et de son avers, le son. Est zigzag de lumière, espérance d’être sauvée de la souffrance et la douleur, d’un peu de jour. Tâtonnement d’être et de ne pas être pour guérir, pour ne plus souffrir ou supporter la mort d’un père qui figure en filigrane dans quelques textes. La musique est encore un nom invoqué comme une déesse à qui l’on doit faire dévotion. Est un nom propre, que l’on dit, l’on cite, l’on répète, un mandala vers la lumière, afin de, peut-être, par son biais, se préparer, un jour prochain, à mourir, à disparaître. À être, comme elle, passante éphémère, néant sonore.
Les textes, ainsi, sont faits de phrases, de mots-phrases, de mots heurtés, cognés, butés, entrechoqués. De silences qu’on voudrait saisir du fond, de ce profond de l’être qu’on voudrait – si on le pouvait – entrapercevoir, entrouïr (comme elle l’écrit dans un poème), et faire venir à la surface du langage et de la raison. Car l’écoute est ouvrir des portes, pour elle, circuler dans des salles interdites, joindre les morts. L’écoute est voyage intérieur. Mais c’est aussi traquer les mots du dedans ou trouver la source d’où vient ce langage qui remonte, à l’écoute de la musique. La troisième main, d’où venue et où retournée. Et c’est, peut-être, ainsi comprendre à la fin ce qui vient pour nous dans l’écrit, quel geste, ou quel acte, sous la dictée, se crée en nous quand nous-mêmes nous écrivons, et cherchons au tréfonds de nous à entendre la voix qui parle. Et qui est nous.
La musique est cette voix-là. Cette voie-là.




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Arfuyen
144 p., 13,00 €
couverture