Un journal de campagne, cela évoque les opérations militaires plus que la nature, même si elle est présente : la guerre présente ici, c’est celle de 14-18, et des lieux bien champêtres furent des lieux de mort – « Hécatombe et massacre ». Cependant, à travers les souvenirs discrets des combats, l’évocation de paysages de vignobles et de réunions autour d’un verre de Sylvaner, le lecteur est surtout attentif au motif lyrique de la mémoire.

Le premier ensemble titré « Cheminement » réunit deux poèmes (« Avancée » et « Abri »), le second, titré « Approches », s’ouvre avec « Place forte » et rassemble des termes utilisés pour décrire une forteresse dont quelques-uns, en caractères gras, sont retenus comme titres des poèmes du livre. La variation autour de quelques mots est signalée dans les vers d’un rondel – « On tombe sur des mots qu’on peut envisager / L’alexandrin revient pour chacun les nommer / Canon bastion redoute archère et contrefort / Barbacane bonnette [...] » – et avec humour, dans un « Lexique des titres fortifiés » qui clôt le livre.

Des poèmes avec des mots du vocabulaire militaire ? Il est toujours possible de s’attacher à la forme même du mot ; ainsi pour « fort » : « F.O.R.T. avec un T qui ne se lie pas. T en tourelle on dit gabion et c’est du guet. Que veut-il prendre aux rets des langues ? » etc. On relève que la reprise d’un vers est un des moyens de lier les poèmes entre eux. Il en est d’autres comme l’usage des phrases nominales, fréquentes, en cascade, qui donnent mouvement, nervosité ou celui des jeux phoniques : des mots proches ne se distinguent que par un son : vestige / vertige ; calvaire / calcaire.
Voilà un livre dans la continuité de ceux publiés par Jacques Moulin, avec en ouverture de chacune des quatre séquences un dessin fort suggestif de Benoît Delescluse. Une réussite.