Albane Prouvost : Meurs ressuscite

 
par Caroline Sagot Duvauroux

Première page :

dans la maison glacée / où je suis autorisée / combien de cerisiers / acceptent de revenir / accepte poirier

ici je commence ici / les pommiers sont des sorbiers / coincés sous la glace / accepte

un pommier accepte-t-il / puis sauvagement il accepte / accepte poirier

Tous les lecteurs de ne tirez pas camarade (Unes, 2000) attendaient une nouvelle floraison. Et voilà, quinze ans plus tard, ce petit éblouissement d’une soixantaine de pages. Quelques mots font les lignes sages sur la page, on entre en féérie, les répétitions tiennent la pensée en suspend de la sensation qui diffuse longuement. La mémoire ne semble pas invitée, on entre en regard comme on entre en neige ou en pommier, en poirier, en cerisier puis cette litanie sérielle est déviée, amusée ou trahie par un autre registre. S’invente un grégorien après que John Cage et Aperghis y ont fourré le nez.
On observait un glacier fait d’un petit arbre enneigé, c’était familier, troublant, comme peut être Vesaas, celui de La barque le soir puis on est secoué, un mot brise la contemplation, on considère, on examine, on observe. La pensée a glissé sur un mot, plus loin, par bifurcation de registre. Une notation et nous voilà circonspect. infantile flocon pur flocon cicatriciel.
Il nous semble avoir beaucoup appris, lisant, on ignore quoi, on s’est ouvert, on a la taille d’un enfant, on regarde l’embâcle et la débâcle d’un truc plus grand que nous mais qui est jeune et fragile, qui ne devrait pas être si grand. C’est l’immense Russie peut-être, dans un petit verger, il faut lever la tête, on est petit. Des abstractions se coincent entre les cristaux de glace, déroutent la psalmodie de la lecture par petites amorces jubilantes d’une pensée parfaitement exercée. Une délicatesse s’aiguise, beaucoup de grâces et des brusqueries : des surgissements ; on rit parfois d’aise ou de surprise. On va se réconcilier, c’est sûr, avec la glace ou son cher compatible grâce à un pot de confiture de framboises. On est devenu le regard, la grande intelligence d’un esprit de pauvreté amusé d’incongru, on est devenu la curiosité pure. Et le regard répète mot pour mot le regard, ne sait que ça. Se confier à un jeune pommier. Et le regard recouvre le jeune pommier d’une glace miroitante qu’il transperce à coups répétés de caresses et de taquineries. La vision serait brusque mais au delà ou en deçà, le regard poursuit l’entropie. C’est sauvage, c’est familier, beaucoup de points de vue entraîneraient à une exégèse ennuyeuse, on a si peur de déflorer l’aventure. On voudrait s’endormir avec un chant de grâce pour la gentillesse de la neige, l’hyper hyper hyper neige, ou pour le jeune pommier brusque, ou pour le courage du jeune pommier sous la glace, près de Tchekhov ou du cadavre de Mandelstam.
C’est pas souvent, la poésie. C’est vraiment très beau. Alors on en a marre de parler, on ouvre au hasard, on recopie :

Moi premier pommier parmi les miens / je pourrais revenir / si j’étais sûre
Moi premier pommier parmi les miens / je rêve de revenir / ou je suis sûre
Je suis sûre de revenir voici / un pommier est particulièrement sûr / au départ un pommier est presque sûr

Une hyper hyper hyper neige serait-elle vraie ?

Même sans les blancs qui dessinent l’espace dans la page, ça le fait, non ?




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P.O.L
80 p., 10,00 €
couverture