Augusto Rodriguez : Le livre des fièvres

 
par Nicole Benkemoun

Ci-gît la splendeur d’une écriture fulgurante et survoltée qui nous fait passer avec elle l’épreuve de l’ultime frontière.
Incantations, imprécations, suppliques, exorcismes, Le livre des fièvres, c’est une guerre ouverte qui nous entraîne au-delà de lultime frontière.
La mort au travail
L’écriture au travail
Aux métastases du cancer qui ronge, brûle et détruit son père, mais cancer généralisé à toi, à moi, à l’univers, l’auteur oppose la prolifération de ses mots incendiaires, enragés, violents, insoumis, contre la maladie et la mort, la dévastation et les ravages des cœurs et des corps.
Aux cellules mortes ou moribondes, il impose les cellules vivantes de ses lettres de feu, turbulentes, rapides à la vitesse de la lumière.
Mais ses mots, ambassadeurs cosmiques, sculpteurs, tatoueurs des corps disparus, s’ils sont les accords musicaux du chaos, ils sont aussi cette fête déchaînée surgie peut-être d’un coin lointain de l’enfance.
Il est rare que l’on ressente à ce point souffrance et jubilation à la lecture de poèmes mais chacun de nous ne peut que se sentir originalement concerné par ces textes-chocs restituant des instants, des éclairs, des visions du vivre quotidien que la puissance percutante du verbe parvient à élever à l’universel.
Le poète nous livre le combat de l’écriture, combat inégal contre l’Innommable, mais, même si nous sommes condamnés à perdre,

Ici, dans la Poésie,
nous sommes prêts à vaincre l’ennemi si puissant soit-il,
ici nous continuerons à lutter jusqu’à la fin.

La poésie d’Augusto Rodriguez, acte de chair, nous percute et répercute profondément en nous, à la limite du supportable, l’expérience de l’être, mais aussi l’aventure d’être en vie.
Et cette langue incisive, brutale, féroce, insolente, cette voix en colère, révoltée, désespérée et profondément sensible et émouvante qui dit le passage nomade de l’homme, le moi provisoire, sont rendues magnifiquement par le traducteur.
Livre terrible.
On sombre, on coule avec lui comme tous les naufragés de la vie, mais on remonte, on s’accroche et

au-delà de l’ultime frontière
peut-être serons-nous l’écriture rebelle que l’eau
     [n’emporte pas

On lit quand même. On écrit quand même – Malgré tout –

Nous ne nous rendrons pas. Ça jamais.




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Traduit de l’espagnol (Équateur) par Rémy Durand
Éditions Villa-Cisneros
160 p., 20,00 €
couverture