par Philippe Di Meo
Dans cet ensemble de vers hétérogènes tant par leur poétique que par leur esthétique – nous pourrions avancer à bon droit que chaque pièce évolue dans un registre spécifique –, jusqu’au titre posthume qui fait débat. Un commentateur du siècle dernier, Charles Lyell (1835) ne les avait-il pas intitulés Canzoniere ?
Cependant, en vertu du caractère composite de l’ouvrage, la notion de Canzoniere ne résiste pas à l’examen, précisément parce que nous sommes en présence de pièces poétiques dissemblables là où la notion de Canzoniere codifiée à l’époque de la Renaissance, après et d’après Pétrarque, sous-tend une construction stylistique et thématique unitaire, l’« aventure organique d’une âme » (Contini).
Si toutefois nous voulions décrire sommairement ce recueil, nous relèverions tout d’abord une alternance de dolce stil nuovo et de poèmes plus âpres aux rimes rocailleuses. Comme Longhi, nous pouvons apprécier l’« héroïsme technique » de Dante par-delà l’épars et le résiduel légué.
Contrairement à Vita Nuova, ou même au Convivio, partiellement unifiée, pour l’essentiel a posteriori, par un schéma narratif empruntant aussi au razos. À tel point qu’un critique comme le déjà cité Gianfranco Contini fait graviter les poèmes des Rimes autour de l’absence « au moins » de la Vita Nuova, dont elles sont les résidus. Les poèmes exclus. Et les nombreuses nouveautés qui s’y feront jour succèderont au stilnovismo pur des débuts. Tout en maintenant tendu le fil de la « belle forme » et celle « de la célébration des vertus morales » qui distingue le Dante de toujours. La constante du Florentin sera de marier la réflexion technique à la poésie, comme hybridation de l’exercice poétique et de l’intelligence technique. Une technique envisagée comme d’essence sacrée, pourrait-on dire, le long d’un itinéraire ascétique dont témoigne, déjà, à sa façon l’encyclopédisme des références bien au-delà du champ poétique. La construction lyrique s’assortit d’excursus empruntant à l’essai.
Le stilnovismo, encore bien présent, à côté d’allégorismes aisément repérables, dans certains poèmes des Rimes, ne doit pas être appréhendé comme une manifestation de subjectivité peu ou prou romantique ou préromantique totalement étrangère au siècle. L’homme du dolce stil nuovo est un homme abstrait, paré d’universalité, dépourvu de tout attribut personnel, exaltant un amour non moins impersonnel, finalement, car adressé à l’amour tel qu’on l’idéalisait à cette époque pour un archétype de femme digne d’être aimée. Cette même impersonnalité découlait, et sous-tendait, une notion d’amitié aristocratique. Cette attitude tend à l’indifférenciation des poètes et au refus de distinguer des individualités. Dans cet esprit, tout est objectif et absolu. Interchangeable, la femme, « Lisetta » ou « Violetta », perd elle aussi tout attribut historique.
Telles sont quelques-unes des caractéristiques les plus élémentaires d’un recueil si plurivoque et divers qu’on les qualifie souvent de « rimes extravagantes ».